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ÊTRE AIMÉ.

Dévore, et qui n’ont rien que l’ennui, ce vautour !
Pourquoi ne pas vouloir de nous, ô sombre amour ?
Tout peut être accablant, mais Rien, c’est incurable.
Rien ! Ah ! le couple est saint, le nid est vénérable,
Le fond de la nature est un immense Hymen ;
J’en veux ma part ! Je veux une main dans ma main.
Sans l’amour ce n’était pas la peine de naître,
Et cela ne vous sert à rien d’être le maître,
L’empereur, le césar, l’homme unique et pensif.
Être aimé, c’est avoir l’œil clair et décisif,
Le front gai, l’esprit prompt, le cœur fort, l’âme haute.
Autrement, si les cœurs, sans que ce soit ma faute,
Me sont fermés, tout est ingrat, rien n’est vermeil ;
Si l’on ne m’aime pas, qu’importe le soleil
Avec sa grande flamme inutile ! Qu’importe
Le frais avril ouvrant aux papillons sa porte,
Le doux mai dont j’ai droit de nier la chaleur,
Et qu’est-ce que cela me fait que l’arbre en fleur
Frissonne, et que le chant des oiseaux se confonde
Avec l’hymne du vent dans la forêt profonde !



15 mars 1874.