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MANGERONT-ILS ?

LE ROI.

Voilà ce que j’appelle un bon vivant ! Merci !
Accepte en attendant cet en-cas.

Les valets poussent du fond du massif sur le théâtre la grande estrade roulante exhaussée de trois degrés et portant une table. L’estrade occupe et masque une partie du fond du théâtre, et touche d’un côté au porche à double issue qui est à droite. Nappe de guipure à la table, tapis de velours à l’estrade. La table est magnifiquement servie. Vaisselle plate, aiguières d’or et d’argent, cristaux, pâtés, jambons, faisans, paons avec leurs queues, flacons et bouteilles. En même temps, entre une troupe de musiciens de la chambre du roi, qui se rangent avec leurs instruments derrière la table.
AÏROLO, regardant la table.

Accepte en attendant cet en-cas. Pauvre.

LE ROI.

Accepte en attendant cet en-cas. Pauvre. Écoute,
Je t’aime. Sois goulu. Vivons ! Mange.

AÏROLO, à part.

Je t’aime. Sois goulu. Vivons ! Mange. Et toi, broute.
Il est domestiqué supérieurement.

Les valets apportent sur l’estrade un fauteuil pour le roi, et un tabouret qu’ils placent devant la table.
LE ROI.

Vivons cent ans !

AÏROLO, à part.

Vivons cent ans ! Cent ans ! Scénario charmant.
Mon roi devient mon groom. Je lui plais. Il frissonne
De tendresse devant mon exquise personne.
J’ai pour lui des rayons mêlés à mes cheveux.
Je puis évidemment faire ce que je veux.
Je suis Bacchus. Je mène un léopard en laisse,
N’hésitons pas.

Il monte sur l’estrade et s’assied sur le fauteuil royal.
LE ROI, à part.

N’hésitons pas. Il prend le fauteuil, et me laisse
Le tabouret ! — C’est trop ! faisons-le pendre !