Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome V.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
158
THÉÂTRE EN LIBERTÉ.
Haut, en souriant, à Aïrolo.

Je t’ai fait grâce, et j’ai sur toi passé l’éponge.
Sois libre !

Sois libre ! À part.

Sois libre ! Il me tient, comme un oiseau, dans son poing !
Ah !

Ah ! Haut, avec un redoublement affectueux.

Ah ! Vis longtemps !

AÏROLO.

Ah ! Vis longtemps ! Pourquoi ? Je ne te cache point
Que je suis peu charmé d’exister. Est-ce étrange,
Moi, ce serf, ce banni, ce proscrit, qui ne mange
Que quelquefois, qui vis pâle et déguenillé,
Hagard comme une ville après qu’on a pillé,
Moi qui songe à la joie ainsi qu’à la chimère,
Moi damné quand j’étais au ventre de ma mère,
Moi qu’on pourchasse, moi qu’on maudit, moi qu’on bat,
Qui marche à l’abattoir tout en portant le bât,
Courbé sous tous les maux, triste rosse asservie,
Nu, saignant, je ne tiens pas du tout à la vie !
Je serais riche, beau, puissant, aimé, fêté,
Que je n’en serais pas vraiment plus dégoûté.
J’ai l’indigestion sans avoir eu l’orgie.
Hors de l’humanité, par vous autres régie,
Rôdant sur la lisière auprès de l’animal,
Espèce de vil pauvre en fuite dans le mal,
Moi qui noircis les bois que juin de fleurs émaille,
Sans nom, sans toit, sans feu ni lieu, ni sou ni maille,
Je me donne les airs d’avoir le spleen des lords !
Je compte un beau matin me tuer.

LE ROI, à part.

Je compte un beau matin me tuer. Mais alors…
Que dit-il ? Se tuer ! Grand Dieu !

Que dit-il ? Se tuer ! Grand Dieu ! Haut.

Que dit-il ? Se tuer ! Grand Dieu ! Songe à ta mère.

AÏROLO.

J’en parlais tout à l’heure, et c’est ma joie amère
De lui dire : attends-moi ! Bien jeune, elle partit.