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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.

Pour qui meurt, toute chose, excepté l’ombre, est fausse.
La salamandre creuse elle-même sa fosse,
La taupe va sous terre, et l’aigle encor plus loin,
Dans le nuage, et l’ours veut tomber sans témoin,
Et les tigres, rentrant leurs griffes sous leurs ventres,
Majestueusement meurent au fond des antres ;
Et quand on est leur femme, et leur sœur, on s’enfuit
Ainsi qu’eux, on se cache, et l’on rend à la nuit
Son âme, comme après la bataille, l’épée.
Donc je me dérobais. Voir, par une échappée,
Le sinistre univers, de moins en moins vermeil,
Sentir qu’il devient rêve et qu’il devient sommeil,
Voir se superposer d’inconcevables voûtes,
Dans un tremblement triste et vague être aux écoutes,
Avoir, sans savoir où, ni comment, ni pourquoi,
La dilatation d’une fumée en soi,
C’est là mourir. L’horreur d’expirer vous étonne.
On craint d’être trop près de l’endroit où Dieu tonne.
En même temps on sent de la naissance. On croit,
Pendant qu’on s’amoindrit, comprendre qu’on s’accroît.
On distingue, en un lieu sans contour, un mélange
De soir et de matin, de suaire et de lange,
Les roses, ô terreur, qui vous boivent le sang,
Et le ciel qui vous prend votre âme, et l’on se sent
Finir d’une façon et commencer de l’autre.
L’esprit plane en la mort, la matière s’y vautre.
Cette fuite des chairs qui vous quittent et vont
Vers la terre vous laisse au cœur un froid profond.
Aujourd’hui, défaillante, et comprenant la chose,
Voulant sans trouble entrer dans la métempsychose,
Je m’étais enfuie en mon antre inconnu.
J’attendais le sommeil… le supplice est venu !
Des hommes, chiens hurlants, soudain m’ont découverte,
Et, comme au sanglier, dans la clairière verte,
Ils m’ont donné la chasse, et, hideux, inhumains,
M’ont poursuivie avec des pierres dans les mains,
Comme l’orage accable une barque échouée.
Oh ! le prolongement des haines, la huée !
C’est horrible. En ce bois, de toutes parts battu,
J’ai fui, terrifiée… — Oh ! te figures-tu,
Être saisie, avec d’affreux éclats de rire !
Ma chair vue à travers mes haillons qu’on déchire,
Et le bûcher, le prêtre, et le glas du beffroi,
Et tout ce pêle-mêle infâme autour de moi,