Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome IV.djvu/71

Cette page n’a pas encore été corrigée

prêtre,

Et que, tout en restant, par devoir, prosterné

Devant l'altier vicaire au hasard couronné,

Cet inconnu pensif porte en lui l'âme même

De l'église, dont l'autre a le vain diadème!

Eh bien, que dirais-tu si ce chef de la foi,

Et si cet inconnu suprême, c'était moi?

François de Paule


 Le pape, homme de Dieu, règne.

Il n'est pas deux Romes.

Torquemada


Nul n'est homme de Dieu s'il n'est l'homme des hommes.

Je suis cet homme-là. L'enfer et sa noirceur

Attendent l'univers. Je suis le guérisseur

Aux mains sanglantes. Calme, il sauve, et semble horrible.

Je me jette, effrayant, dans la pitié terrible,

Vraie, efficace; et j'ai pour abîme l'amour.

François de Paule


Je ne vous comprends pas. Prions.

II s'agenouille devant l'autel.

Torquemada


Jadis, un jour, J'étais jeune, et j'avais depuis peu cette robe,

J'ai vu dans Sainte-Croix de Ségovie un globe

Qui figure le monde avec tous Ies états;

Les fleuves, les forêts; toute la terre; un tas

D'empires; les pays, les frontières, les villes;

La neige avec ses monts, la mer avec ses îles;

Toutes les profondeurs où remue à grand bruit

Le vaste genre humain fourmillant dans la nuit.

Tu sais, père, il n'est pas d'empereur qui ne tienne

Un globe dans sa main, idolâtre ou chrétienne;

Moi, j'ai sous mon regard eu cette vision,

L'univers; chaque zone et chaque nation;

Europe, Afrique; et l'Inde où l'on voit l'aube naître;

Et j'ai dit: Il s'agit de devenir le maître.

Et j'ai dit: Il s'agit de dominer cela

Pour Jésus, qui souvent en songe m'appela.