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Scène VI


Le Moine, seul


Le Moine


D'un côté, La terre, avec la faute, avec l'humanité,

Les princes tout couverts de crimes misérables,

Les savants ignorants, les sages incurables,

La luxure, l'orgueil, le blasphème écumant,

Sennachérib qui tue et Dalila qui ment,

Hérétiques, vaudois, juifs, mozarabes, guèbres,

Les pâles curieux de chiffres et d'algèbres,

Tous, grands, petits, souillant le signe baptismal,

A tâtons, reniant Jésus, faisant le mal,

Tous, le pape, le roi, l'évêque, le ministre...

Et de l'autre côté, l'immense feu sinistre!

Ici, l'homme, oubliant, vivant, mangeant, dormant,

Et là les profondeurs sombres du flamboiement!

L'enfer! - O créature humaine abandonnée!

O double plateau noir de notre destinée!

Vie et mort. Rire une heure et pleurer à jamais!

L'enfer! O vision! Des caves, des sommets;

La braise dans les puits, sur les cimes le soufre.

Cratère aux mille dents! bouche ouverte du gouffre!

Sous l'infini vengeur, l'infini châtié!

Joie est une moitié; deuil est l'autre moitié.

Cela brûle. On entend.des cris: mon fils! ma mère!

Grâce! et l'on voit tomber en cendre une chimère,

L'espérance; des yeux, des visages s'en vont,

Puis reviennent, hagards dans le brasier profond;

Sur les crânes vivants le plomb fondu s'égoutte.

Monde spectre. Il torture et souffre; il a pour voûte

Le dessous monstrueux des cimetières noirs,

Piqué de points de feu comme le ciel des soirs,

Plafond hideux percé de fosses pêle-mêle,

D'où tombe dans l'abîme une pluie éternelle

D'âmes, roulant au fond des braises, au milieu

Du supplice, plus loin que le pardon de Dieu.