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Ayez pitié de nous. Nous sommes. accablés.

Nous ne verrons donc plus nos arbres et nos blés!

Les mères n'auront plus de lait dans leurs mamelles!

Les bêtes dans les bois sont avec leurs femelles,

Les nids dorment heureux sous les branches blottis,

On laisse en paix la biche allaiter ses petits,

Permettez-nous de vivre aussi, nous, dans nos caves,

Sous nos pauvres toits, presque au bagne et presque esclaves,

Mais auprès des cercueils de nos pères; daignez

Nous souffrir sous vos pieds de nos larmes baignés!

Oh! la dispersion sur les routes lointaines, Quel deuil!

Permettez-nous de boire à nos fontaines

Et de vivre en nos champs, et vous prospérerez.

Hélas! nous nous tordons les bras, désespérés!

Épargnez-nous l'exil, ô rois, et l'agonie

De la solitude âpre, éternelle, infinie!

Laissez-nous la patrie et laissez-nous le ciel!

Le pain sur qui l'on pleure en mangeant est du fiel.

Ne soyez pas le vent si nous sommes la cendre.

Montrant l'or sur la table.

Voici notre rançon. Hélas! daignez la prendre.

O roi, protégez-nous. Voyez nos désespoirs.

Soyez sur nous, mais non comme des anges noirs;

Soyez des anges bons et doux, car l'aile sombre

Et l'aile blanche, ô rois, ne font pas la même ombre.

Révoquez votre arrêt. Rois, nous vous supplions

Par vos aïeux sacrés, grands comme les lions,

Par les tombeaux des rois, par les tombeaux des reines,

Profonds et pénétrés de lumières sereines,

Et nous mettons nos coeurs, ô maîtres des humains,

Nos prières, nos deuils dans les petites mains

De votre infante Jeanne , innocente et pareille

A la fraise des bois où se pose l'abeille.

Roi, reine, ayez pitié!

Moment de silence. Immobilité absolue de Ferdinand et d'Isabelle. Ni le roi ni la reine ne tournent les yeux. Le duc d'Alava, qui se tient devant la table l'épée nue, touche du plat de l'épée l'épaule du grand rabbin. Le grand rabbin se lève, et lui et tous les juifs sortent tête basse, à reculons. Les gardes font la haie et les refoulent. La porte reste ouverte après qu'ils sont sortis. Le roi fait signe au duc d'Alava, qui s'approche.

Le Roi


, au duc d'Alava.

Sur l'édit, sur l'arrêt, La reine et moi voulons nous parler en secret.