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LA REINE, se levant et lui frappant le visage de son gant.

Ah ! tu es un lâche ! Ah ! tu trahis l’une et tu renies l’autre ! Ah ! tu ne sais pas qui elle est ! Veux-tu que je te le dise, moi ? Cette femme est Jane Talbot, fille de Jean Talbot, le bon seigneur catholique mort sur l’échafaud pour ma mère. Cette femme est Jane Talbot, ma cousine, Jane Talbot, comtesse de Shrewsbury, comtesse de Wexford, comtesse de Waterford, pairesse d’Angleterre ! Voilà ce que c’est que cette femme ! — Lord Paget, vous êtes commissaire du sceau privé, vous tiendrez compte de nos paroles. La reine d’Angleterre reconnaît solennellement la jeune femme ici présente pour Jane, fille et unique héritière du dernier comte de Waterford. (Montrant les papiers.) Voici les titres et les preuves, que vous ferez sceller du grand sceau. C’est notre plaisir. (À Fabiani.) Oui, comtesse de Waterford ! et cela est prouvé ! et tu rendras les biens, misérable ! Ah ! tu ne connais pas cette femme ! Ah ! tu ne sais pas qui est cette femme ! Eh bien, je te l’apprends, moi ! c’est Jane Talbot ! et faut-il t’en dire plus encore ?… (Le regardant en face, à voix basse, entre les dents.) — Lâche ! c’est ta maîtresse !

FABIANI.

Madame…

LA REINE.

Voilà ce qu’elle est. Maintenant, voici ce que tu es, toi. — Tu es un homme sans âme, un homme sans cœur, un homme sans esprit ! tu es un fourbe et un misérable ! tu es… Pardieu, messieurs, vous n’avez pas besoin de vous éloigner. Cela m’est bien égal que vous entendiez ce que je vais dire à cet homme ! Je ne baisse pas la voix, il me semble. — Fabiano, tu es un misérable, un traître envers moi, un lâche envers elle, un valet menteur, le plus vil des hommes, le dernier des hommes ! Cela est pourtant vrai, je t’ai fait comte de Clanbrassil, baron de Dinasmonddy, quoi encore ? baron de Darmouth en Devonshire. Eh bien, c’est que j’étais folle ! Je vous demande pardon de vous avoir fait coudoyer par cet homme-là, mylords. Toi, chevalier ! toi, gentilhomme ! toi, seigneur ! Mais compare-toi donc un peu à ceux qui sont cela, misérable ! mais regarde, en voilà autour de toi, des gentilshommes ! Voilà Bridges, baron Chandos ; voilà Seymour, duc de Somerset ; voilà les Stanley, qui sont comtes de Derby depuis l’an quatorze cent quatre-vingt-cinq ! voilà les Clinton, qui sont barons Clinton depuis douze cent quatre-vingt-dix-huit ! Est-ce que tu t’imagines que tu ressembles à ces gens-là, toi ? Tu te dis allié à la famille espagnole de Peñalver, mais ce n’est pas vrai, tu n’es qu’un mauvais italien, rien, moins que rien ! fils d’un chaussetier du village de Larino ! — Oui, messieurs, fils d’un chaussetier ! Je le savais, et je ne le disais pas, et je le cachais, et je faisais semblant de croire cet homme quand il parlait de sa noblesse. Car voilà comme nous sommes, nous autres femmes. Ô mon Dieu ! je voudrais qu’il y eût des femmes ici, ce serait une leçon pour toutes. Ce misérable ! ce misérable ! il trompe une