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C'est vrai, je suis maudit, je suis seul, je suis vieux!
— Je suis triste! — Au donjon qu'habitent mes aïeux
Je me cache, et la, morne, assis, muet et sombre,
Je regarde pensif autour de moi dans l'ombre.
Hélas ! tout est bien noir. Je promène mes yeux
Au loin sur l'Allemagne, et n'y vois qu'envieux,
Tyrans, bourreaux, luttant de folie et de crime;
Pauvre pays, poussé par cent bras vers l’abîme,
Qui va tomber, si Dieu ne fait sur son chemin
Passer quelque géant qui lui tende la main !
Mon pays me fait mal. Je regarde ma race,
Ma maison, mes enfants. — Haine, bassesse, audace !
Hatto contre Magnus; Gorlois contre Hatto;
Et déjà sous le loup grince le louveteau.
Ma race me fait peur. Je regarde en moi-même.
— Ma vie, ô Dieu! — je tremble et mon front devient blême!
Tant chaque souvenir qu'évoque mon effroi
Prend un masque hideux en passant devant moi !
Oui, tout est noir. — Démons dans ma patrie en flamme,
Monstres dans ma famille et spectres dans mon âme ! —
Aussi, lorsqu'à la fin mon œil troublé, que suit
La triple vision de cette triple nuit,
Cherchant le jour et Dieu, lentement se relève,
J'ai besoin, en sortant de l'abîme où je rêve,
De vous voir prés de moi comme deux purs rayons.
Comme au seuil de l'enfer deux apparitions,
Vous, enfants dont le front de tant de clarté brille,
Toi, jeune homme vaillant; toi, douce jeune fille;
Vous qui semblez, vers moi quand vos yeux sont tournés,
Deux anges indulgents sur Satan inclinés !

Otbert, à part.
Hélas !

Régina.
O monseigneur !

Job.
Enfants ! que je vous serre
Tous les deux dans mes bras !
A Otbert, en le regardant entre les deux yeux avec tendresse.
Ton regard est sincère,
On sent en toi le preux fidèle à son serment,
Comme l'aigle au soleil et le fer à l'aimant.