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Derrière le plus vieux se tient debout, immobile comme une figure pétrifiée, un écuyer à barbe blanche, vêtu de fer et élevant au-dessus de la tête du vieillard une grande bannière noire sans armoiries.
Otbert, les yeux baissés, est auprès du plus vieux, qui a le bras droit posé sur son épaule, et se tient un peu en arrière.

Dans l'ombre, derrière chacun des deux vieux chevaliers, on aperçoit deux écuyers habillés de fer comme leurs maîtres, et non moins vieux, dont la barbe blanchie descend sous la visière à demi baissée de leurs heaumes. Ces écuyers portent sur des coussins de velours écarlate les casques des deux vieillards, grands morions de forme extraordinaire dont les cimiers figurent des gueules d'animaux fantastiques.

Les deux vieillards écoutent en silence ; le moins vieux appuie son menton sur ses deux bras réunis et ses deux mains sur l'extrémité du manche d'une énorme hache d'Ecosse. Les convives, occupés et causant entre eux, ne les ont pas aperçus.



Scène VI

Les mêmes, Job, Magnus, Otbert.


Magnus.
Jadis il en était
Des serments qu'on faisait dans la vieille Allemagne,
Comme de nos habits de guerre et de campagne ;
Ils étaient en acier. — J'y songe avec orgueil. —
C'était chose solide et reluisante à l'œil,
Que l'on n'entamait point sans lutte et sans bataille,
A laquelle d'un homme on mesurait la taille,
Qu'un noble avait toujours présente à son chevet,
Et qui, même rouillée, était bonne et servait.
Le brave mort dormait dans sa tombe humble et pure,
Couché dans son serment comme dans son armure,
Et le temps, qui des morts ronge le vêtement,
Parfois brisait l'armure, et jamais le serment.
Mais aujourd'hui la foi, l'honneur et les paroles
Ont pris le train nouveau des modes espagnoles.
Clinquant ! soie! — Un serment, avec ou sans témoins,.
Dure autant qu'un pourpoint. — Parfois plus, souvent moins!
S'use vite, et n'est plus qu'un haillon incommode
Qu'on déchire et qu on jette en disant : Vieille mode !
A ces paroles de Magnus, tous se sont retournés avec stupeur.
Moment de silence parmi les convives

Hatto, s'inclinant devant les vieillards.
Mon père!...

Magnus.
Jeunes gens, vous faites bien du bruit.
Laissez les vieux rêver dans l'ombre et dans la nuit.