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Un lieu lugubre, Hermann. un endroit redouté.
Un essaim de corbeaux, sinistre, épouvanté,
Tourne éternellement autour de la montagne.
Le soir, leurs cris affreux, lorsque l'ombre les gagne,
Font fuir jusqu'à Lautern le chasseur hasardeux.
Des gouttes d'eau, du front de ce rocher hideux,
Tombaient, comme les pleurs d'un visage terrible.
Une caverne sombre et d'une forme horrible
S'ouvrait dans le ravin. Le comte Max Edmond
Ne craignit pas d'entrer dans la nuit du vieux mont.
Il s'aventura donc sous ces grottes funèbres.
Il marchait. Un jour blême éclairait les ténèbres.
Soudain, sous une voûte au fond du souterrain,
Il vit dans l'ombre, assis sur un fauteuil d'airain,
Les pieds enveloppés dans les plis de sa robe,
Ayant le sceptre à droite, à gauche ayant le globe,
Un vieillard effrayant, immobile, incliné,
Ceint du glaive, vêtu de pourpre, et couronné.
Sur une table faite avec un bloc de lave,
Cet homme s'accoudait. Bien que Max soit très-brave
Et qu'il ait guerroyé sous Jean le Bataillard,
Il se sentit pâlir devant ce grand vieillard
Presque enfoui sous l'herbe, et le lierre, et la mousse.
Car c était l'empereur Frédéric Barberousse!
Il dormait, — d'un sommeil farouche et surprenant.
Sa barbe, d'or jadis, de neige maintenant,
Faisait trois fois le tour de la table de pierre;
Ses longs cils blancs fermaient sa pesante paupière;
Un cœur percé saignait sur son écu vermeil.
Par moments, inquiet, à travers son sommeil,
Il portait vaguement la main à son épée.
De quel rêve cette âme était-elle occupée?
Dieu le sait.

Hermann.
Est-ce tout?

Karl.
Non, écoutez encor.
Aux pas du comte Max dans le noir corridor,
L'homme s'est réveillé; sa tête morne et chauve
S'est dressée, et, fixant sur Max un regard fauve,
Il a dit, en rouvrant ses yeux lourds et voilés:
— Chevalier, les corbeaux se sont-ils envolés?