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JANE.

Non. Depuis quelques jours je ne sais ce qu’elle est devenue.

GILBERT.

Voici la mienne. — À demain matin. — Jane, n’oublie pas ceci. Encore aujourd’hui ton père, dans huit jours ton mari. (Il la baise au front et sort.)

JANE, restée seule.

Mon mari ! Oh ! non, je ne commettrai pas ce crime. Pauvre Gilbert ! il m’aime, celui-là, — et l’autre !… Pourvu que je n’aie pas préféré la vanité à l’amour ! Malheureuse fille que je suis ! dans la dépendance de qui suis-je maintenant ? Oh ! je suis bien ingrate et bien coupable ! J’entends marcher. Rentrons vite. (Elle entre dans la maison.)



Scène IV.

GILBERT ; UN HOMME enveloppé d’un manteau et coiffé d’un bonnet jaune.
L’homme tient Gilbert par la main.
GILBERT.

Oui, je te reconnais, tu es le mendiant juif qui rôde depuis quelques jours autour de cette maison. Mais que me veux-tu ? Pourquoi m’as-tu pris la main et m’as-tu ramené ici ?

L’HOMME.

C’est que ce que j’ai à vous dire, je ne puis vous le dire qu’ici.

GILBERT.

Eh ! qu’est-ce donc ? Parle, hâte-toi.

L’HOMME.

Écoutez, jeune homme. — Il y a seize ans, dans la même nuit où lord Talbot, comte de Waterford, fut décapité aux flambeaux pour fait de papisme et de rébellion, ses partisans furent taillés en pièces dans Londres même par les soldats du roi Henri VIII. On s’arquebusa toute la nuit dans les rues. Cette nuit-là, un tout jeune ouvrier, beaucoup plus occupé de sa besogne que de la guerre, travaillait dans son échoppe. La première échoppe à l’entrée du pont de Londres. Une porte basse à droite. Il y a des restes d’ancienne peinture rouge sur le mur. Il pouvait être deux heures du matin. On se battait par là. Les balles traversaient la Tamise en sifflant. Tout à coup, on