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JOSHUA, au fond du théâtre.

Oh ! que la Providence est grande ! elle donne à chacun son jouet, la poupée à l’enfant, l’enfant à l’homme, l’homme à la femme, et la femme au diable ! (Il sort.)



Scène III.

GILBERT, JANE.
GILBERT.

Il faut que je vous quitte aussi. Adieu, Jane. Dormez bien.

JANE.

Vous ne rentrez pas ce soir avec moi, Gilbert ?

GILBERT.

Je ne puis. Vous savez, je vous l’ai déjà dit, Jane, j’ai un travail à terminer à mon atelier cette nuit. Un manche de poignard à ciseler pour je ne sais quel lord Clanbrassil, que je n’ai jamais vu, et qui me l’a fait demander pour demain matin.

JANE.

Alors, bonsoir, Gilbert. À demain.

GILBERT.

Non, Jane, encore un instant. Ah ! mon Dieu ! que j’ai de peine à me séparer de vous, fût-ce pour quelques heures ! Qu’il est bien vrai que vous êtes ma vie et ma joie ! Il faut pourtant que j’aille travailler. Nous sommes si pauvres ! Je ne veux pas entrer, car je resterais ; et cependant je ne puis partir, homme faible que je suis ! Tenez, asseyons-nous quelques minutes à la porte, sur ce banc ; il me semble qu’il me sera moins difficile de m’en aller que si j’entrais dans la maison, et surtout dans votre chambre. Donnez-moi votre main. (Il s’assied et lui prend les deux mains dans les siennes, elle debout.) — Jane ! m’aimes-tu ?

JANE.

Oh ! je vous dois tout, Gilbert ! je le sais, quoique vous me l’ayez caché longtemps. Toute petite, presque au berceau, j’ai été abandonnée par mes parents, vous m’avez prise. Depuis seize ans, votre bras a travaillé pour moi comme celui d’un père, vos yeux ont veillé sur moi comme ceux d’une mère. Qu’est-ce que je serais sans vous, mon Dieu ! Tout ce que j’ai, vous me l’avez donné : tout ce que je suis, vous l’avez fait.