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Dans l’état où sont aujourd’hui toutes ces questions profondes qui touchent aux racines mêmes de la société, il semblait depuis longtemps à l’auteur de ce drame qu’il pourrait y avoir utilité et grandeur à développer sur le théâtre quelque chose de pareil à l’idée que voici.

Mettre en présence, dans une action toute résultante du cœur, deux graves et douloureuses figures, la femme dans la société, la femme hors de la société ; c’est-à-dire, en deux types vivants, toutes les femmes, toute la femme. Montrer ces deux femmes, qui résument tout en elles, généreuses souvent, malheureuses toujours. Défendre l’une contre le despotisme, l’autre contre le mépris. Enseigner à quelles épreuves résiste la vertu de l’une, à quelles larmes se lave la souillure de l’autre. Rendre la faute à qui est la faute, c’est-à-dire à l’homme, qui est fort, et au fait social, qui est absurde. Faire vaincre dans ces deux âmes choisies les ressentiments de la femme par la piété de la fille, l’amour d’un amant par l’amour d’une mère, la haine par le dévouement, la passion par le devoir. En regard de ces deux femmes ainsi faites poser deux hommes, le mari et l’amant, le souverain et le proscrit, et résumer en eux par mille développements secondaires toutes les relations régulières et irrégulières que l’homme peut avoir avec la femme d’une part, et la société de l’autre. Et puis, au bas de ce groupe qui jouit, qui possède et qui souffre, tantôt sombre, tantôt rayonnant, ne pas oublier l’envieux, ce témoin fatal, qui est toujours là, que la providence aposte au bas de toutes les sociétés, de toutes les hiérarchies, de toutes les prospérités, de toutes les passions humaines ; éternel ennemi de tout ce qui est en haut ; changeant de forme selon le temps et le lieu, mais au fond toujours le même ; espion à Venise, eunuque à Constantinople, pamphlétaire à Paris. Placer donc comme la providence le place, dans l’ombre, grinçant des dents à tous les sourires, ce misérable intelligent et perdu qui ne