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Victor a consacrées à Marie Tudor. L’éminent écrivain fait justice de certaines accusations portées contre le drame. « En fait de supplices et de crimes, Victor Hugo a plutôt atténué qu’exagéré ce règne meurtrier. » Quant à la superbe invective dont la reine écrase Fabiani, Saint-Victor rappelle que des reines contemporaines étaient encore plus violentes et surtout plus grossières. « Marie Stuart, quand la colère la prenait, tournait en furie. Élisabeth, la sœur de Marie Tudor, avait la violence et le dévergondage d’une mégère. Les jurons pleuvaient de sa bouche et les soufflets de sa main. »

En revanche, Saint-Victor fait, lui aussi, un reproche à Victor Hugo : il a calomnié les mœurs de la reine ; Marie Tudor n’a jamais eu damant, « Marie Tudor était chaste ». Mais, d’autre part, voici qu’un historien, M. Augustin Filon, qui, sous le rapport littéraire, trouve la reine de Victor Hugo « complètement absurde », vient cependant nous affirmer que « Marie Tudor était hystérique… qu’il y eut plus d’un roman dans sa vie, car elle aimait les hommes… qu’enfin il est possible et probable qu’elle fut, dans certaines crises, à peu près ce qu’elle est tout le long du drame de Victor Hugo ». Conclusion : Marie Tudor ne ment donc pas si outrageusement à l’histoire.

Voici deux fragments importants de l’article de Paul de Saint-Victor :

… Quels formidables effets le poète a tirés, dans son second acte, de Marie Tudor amoureuse et jalouse ! D’abord l’invitation au mensonge : l’Italien entraîné dans la fourberie, comme par des bras de sirène, et qui s’y plonge et s’y enfonce, bercé par les mélodies de l’amour, sans se douter qu’un gouffre s’entr’ouvre sous lui. La femme trahie pénètre dans le for intérieur de son vil amant, elle en tire tout ce qu’il contient de perfidies et de faux serments ; elle éprouve une volupté douloureuse à mesure qu’il se dégrade à ses yeux. Cependant le courroux gronde déjà à travers sa voix caressante et fait reluire les éclairs furtifs que couve son regard.

Elle éclate enfin ! son cœur se dégonfle, et la rage s’en échappe comme un torrent débordé. Elle tient le traître et ne le lâche plus ; chaque mot marque, chaque trait déchire : il semble qu’on entende frémir un fer rouge et siffler un fouet. C’est tantôt l’imprécation qui frappe, tantôt le mépris qui renverse. Le voilà dépouillé de sa fausse noblesse, comme d’un oripeau d’histrion qu’elle déchirerait pièce à pièce ; elle lui casse son masque sur la figure, après l’avoir arraché, et l’on croit voir une âme toute nue, souillée et se tordant comme un ver. Puis, c’est la vengeance qui le menace et qu’elle lui montre, la vengeance implacable et inévitable, qui triomphe sur un gibet, qui s’assouvit par les hautes œuvres et qui va livrer sa tête au bourreau. L’acte entier va d’un train d’orage ; c’est, si l’on ose dire, de la terreur « galopante ». En trois scènes, l’homme est saisi, meurtri, dévoré par la fureur qui s’abat sur lui…

Le troisième acte est aussi puissant dans l’émotion que le second dans l’épouvante. Quelle scène que celle où Jane et la reine se rencontrent devant l’échafaud mystérieux, où l’un de leurs amants va monter ! Jane se croit sûre, d’abord, du salut de Gilbert ; elle a guidé son évasion, elle l’a vu partir dans la barque. Mais Marie lui dit qu’elle se trompe, que c’est bien Gilbert qui monte au gibet. Alors Jane tombe à ses pieds, brisée et tremblante ; elle demande grâce, elle implore un sursis. On sait comme Victor Hugo sait faire pleurer et prier les femmes, avec quels cris de nature et quels mots jaillis des entrailles. On tirerait de son œuvre un groupe de suppliantes d’une irrésistible pitié : Marion Delorme demandant à Louis XIII la vie de Didier ; la Sachette disputant sa fille à Tristan ; Catarina aux genoux de la Tisbe ; Fantine, noyée dans ses larmes, se traînant devant Javert. La voix de Jane est une des plus touchantes de ce chœur navré, qui fond en pleurs et qui éclate en sanglots.

Mais Marie repousse sa prière, avec l’égoïsme de la passion rassurée. Alors un pressentiment redresse la jeune fille ; elle ne croit plus que ce soit Gilbert qui marche au supplice, et son accent est tel, qu’il ébranle la reine jusqu’au fond de l’âme. Un changement subit se produit en elles : l’espérance de l’une et le déses-