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qu’à ses premiers pas dans la carrière dramatique, j’aime en lui, comme dans les pièces anglaises du XVIe siècle, ce mélange d’érudition et de romanesque qui distingue la plupart de ses œuvres ; j’aime en lui cette originalité qui n’évite pas toujours l’emphase et la redondance espagnole, mais qui atteint aussi le sublime.

… D’autres ont des caprices plus ou moins brillants, M. Victor Hugo, seul peut-être en littérature, a une volonté.

À la reprise de 1873, la presse ne fut guère plus favorable à Marie Tudor qu’en 1833.

La Presse.
B. Jouvin.

Le feuilletoniste, faiblement démocratique et très violent, est aussi mécontent du public que du drame :

M. Victor Hugo a traîné la réputation de la reine Marie dans le plus misérable imbroglio… Ce drame boursouflé et puéril est écrit dans le plus mauvais esprit : on y insulte aux reines, on y couronne l’innocence des filles du peuple qui ont un bon ami.

Le Paris intelligent de 1833 fit justice avec des clefs forées de ces venimeuses inepties. Le Paris de 1873 — quel nom lui doit-on infliger ? — a battu des mains à ces insanités démodées. M. Hugo a écrit un jour : « Le poète a charge d’âmes. » Le poète de Marie Tudor devra rendre un compte terrible à Dieu. Et il faudra payer ! Et ce sera cher !

Le Temps.

De Francisque Sarcey, homme sans nuances :

… Ce n’est qu’un mélodrame maladroitement bâti ; tous les gros effets des Pixérécourt et des Ducange.

La salle a beaucoup applaudi. Je ne m’inscris pas en faux contre cet enthousiasme. Je ne donne jamais que mon opinion et je ne la donne que pour ce qu’elle vaut. La vérité est que je me suis cruellement ennuyé ce soir là.

Le Figaro.
Arnold Mortier.

… L’action ne manque ni de force, ni d’éclat. Elle comporte des situations et des tableaux scéniques qui s’imposent à la mémoire des yeux ; nul spectateur n’oubliera, ne les eût-il vus qu’une fois, ni l’assassinat du Juif au premier acte, ni l’entrée du bourreau à l’acte suivant, ni l’escalier de la Tour de Londres tendu de noir, ni le cortège mortuaire de Fabiani. Cependant, malgré ces chocs galvaniques dirigés vers le système nerveux du parterre, la pièce n’intéresse pas.

Journal des Débats.
Clément Caraguel.

… On sent, malgré tout, dans Marie Tudor, la main puissante du maître. L’œuvre a beau être imparfaite, elle n’en a pas moins les qualités théâtrales qui attirent et passionnent la foule.

Le Rappel.
Paul Meurice.

… Marie Tudor est reine et Marie Tudor est amoureuse. Elle a un amant, et cet amant la trompe. Ah ! elle veut se venger, et elle se venge. Comme elle se venge !

Quel spectacle prodigieux que cet acte qu’elle emplit tout entier des cris et des bonds de sa douleur et de sa fureur ! Quelle étonnante étude de grand félin pris sur nature ! Cela commence par des chatteries féroces. Elle provoque doucement Fabiano à la trahison, elle l’excite mielleusement à l’hypocrisie. Et puis, tout à coup, elle le démasque et elle se démasque. Alors c’est un délire et c’est une ivresse. Elle le soufflette de son gant, elle le piétine de son talon, elle lui arrache son épée, elle le fait mettre devant toute la cour à genoux. Elle l’outrage, elle le dégrade, elle l’avilit, dans son amour, dans son honneur, dans son nom, dans sa patrie, dans son père. Elle enfonce avec rage et avec volupté ses crocs et ses ongles dans cette chair pantelante et dans ce cœur frémissant. Cependant le misérable lui paraît trop inerte et trop peu résistant ; elle le défie et elle le relève, afin de l’entendre crier et de le sentir souffrir. Coups de dents, coups de griffes, coups de poignard, coups d’épingle. Elle envoie chercher le bourreau pour l’aider, et cela finit par le coup de hache.

Terminons cette revue par quelques-unes des belles pages que Paul de Saint-