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de drame. Le théâtre, dans la guerre entre les classiques et les romantiques, était le champ de bataille le plus décisif, et c’était aussi le terrain sur lequel Victor Hugo semblait le plus attaquable, surtout quand, délaissant le vers pour la prose, il y pouvait perdre une partie de ses avantages.

La critique, en 1833, fut donc en général très dure pour Marie Tudor. On reprochait surtout au drame de ne pas assez tenir compte de l’histoire.

Le Journal des Débats, lui-même (article signé R.), fait des réserves et, tout en louant les beautés, « relève, dit-il, les défauts avec la sévérité que l’on doit au talent ». Le public, lui, peu soucieux des fluctuations et des querelles littéraires, n’abandonnait pas le poète ; l’article des Débats sur Marie Tudor montre quel était à ce moment l’état des esprits vis-à-vis de Victor Hugo :

… Le fait que j’aime à reconnaître, c’est que le succès a été très grand, l’émotion pendant toute la pièce, pour ou contre, à tort ou à raison, très puissante ; et c’est là un des mérites de M. Victor Hugo ; il n’est jamais plat et médiocre ; il s’élève ou il tombe ; il court devant lui droit à son but, ou bien se jette à travers champs, s’égare, se perd, mais il marche toujours ; on peut siffler ses pièces, mais on n’y bâille pas ; il occupe l’esprit lors même qu’il lui arrive de déplaire au jugement.

De là lui vient aussi une fortune singulière au théâtre : M. Victor Hugo s’est créé un public à lui, prévenu, passionné, bien déterminé d’avance à trouver tout bon ou tout mauvais, guettant un trait vif et élevé pour l’applaudir avec enthousiasme, ou bien attendant avec patience un hémistiche hasardé, une expression vulgaire, pour rire sans miséricorde ; c’est, je le répète, un grand privilège de M. Victor Hugo : n’a pas en littérature des amis qui veut, et surtout des ennemis. Or, M. Victor Hugo est abondamment pourvu des uns et des autres.

Le critique anonyme du Constitutionnel, très hostile et très malveillant, est fâché du mauvais caractère de Victor Hugo et irrité du zèle trop expansif de ses amis :

… Ce drame n’est point un progrès, et bien en prend à la critique. Aux yeux de M. Victor Hugo la seule idée de progrès serait une insulte. M. Hugo n’admet point le génie éducable et perfectible. Tout ce que M. Hugo invente, importe, imite ou arrange, doit être admirable. S’il n’est pas admiré de l’époque, c’est que l’époque est arriérée. Ce n’est pas lui qui doit céder au siècle, c’est le siècle qui doit fléchir sous lui. Il ne suffit pas à son orgueil de jeter à l’opinion publique d’humiliants dédains, il veut dompter l’opinion publique et la convertir à ses drames par la force. À chaque première représentation des drames de M. Victor Hugo, l’armée des séides est là, distribuée sur tous les points, pour réprimer l’indépendance des opinions par la tyrannie des injures et des hurlements, des bravos.

Le Temps.

Une note publiée le lendemain de la première représentation en constate le succès :

Malgré l’ennui d’un dialogue choquant à plaisir, malgré l’incohérence de la plus grande partie de l’œuvre, malgré le style et malgré les acteurs, un rôle de Juif et la fin du deuxième acte avaient déjà sauvé la pièce, le quatrième acte l’a enlevée. Ce dernier est sans contredit ce que M. Victor Hugo a écrit de meilleur pour la scène et peut-être le plus bel effet dramatique qu’il y ait au théâtre.

Le 16 novembre, feuilleton du lundi signé L. V. :

… Hélas ! je dois l’avouer, loin de retrouver le poète de mes rêves et l’auteur d’Hernani, je n’ai pas même retrouvé l’auteur du Roi qui s’amuse (sic) et de Lucrèce Borgia.

Le critique n’accorde d’ailleurs que peu de lignes à Marie Tudor et consacre son feuilleton presque tout entier à Bertrand et Raton.

La Gazette de France.

Article non signé :

Comme le principal personnage de Marie Tudor est pris dans l’histoire d’Angleterre, et