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La seconde partie de la troisième Journée fut loin de coûter à Victor Hugo autant de peine et de temps que la première. La scène poignante de la reine et de Jane fut enlevée en deux jours ; commencée le 31 août, elle était achevée le 1er  septembre à 8 heures du soir.

Dernière preuve que Marie Tudor fut rapidement conçue et sommairement méditée : Victor Hugo, en commençant son drame, avait décidé probablement a priori qu’il aurait, comme les autres, un dénouement cruel comme la vie, et que celui des deux condamnés qui serait sauvé ce serait Fabiani. Dans le manuscrit la pièce finissait d’abord ainsi :

Le rideau du tond s’entr’ouvre. Le geôlier paraît et à sa suite Fabiano.
LA REINE.

C’est Fabiano !

JANE, tombant sur le pavé.

Gilbert !

C’était le fait brutal, le fait injuste, qui l’emportait, et qui, si l’on veut, l’emporte souvent, quoique pas toujours, dans la réalité ; mais c’était aussi le fait bête et qui, au point de vue de l’art, n’avait et ne pouvait avoir que l’expression brève et plate. Un mot de la reine : C’est Fabiano ! un cri de Jane, et, brusquement, le rideau tombait, et il est évident que le public, qui attend, qui veut Gilbert, aurait fait le plus mauvais parti à cette fin qui ne finissait rien : la pièce restait en l’air, le règne de Fabiani recommençait le lendemain, entre Jane devenue comtesse Talbot et la reine désabusée. Sans compter qu’il y avait plus qu’invraisemblance, il y avait impossibilité à ce que Gilbert aimé de Jane, Gilbert heureux de vivre, se laissât mener à l’échafaud, comme le bœuf à l’abattoir, sans se révolter, sans se débattre, sans trouver un moyen d’avertir le peuple que ce n’est pas Fabiani qu’on tue.

Il est permis de conjecturer que tout de suite Victor Hugo reconnut son erreur, et, dès le lendemain peut-être, il biffa sur le manuscrit, à gros traits furieusement enroulés, ce dénouement absurde, et y substitua le dénouement heureux, le seul qui soit logique, et plus que logique, nécessaire.