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JOSHUA.

La grosse cloche va annoncer tout à l’heure sa sortie de la Tour. Il vous sera peut-être possible maintenant de vous échapper. Il faut que je tâche d’en trouver les moyens. Attendez-moi là, je vais revenir.

JANE.

Vous me laissez, Joshua ? Je vais avoir peur, seule ici, mon Dieu !

JOSHUA.

Vous ne pourriez parcourir toute la Tour avec moi sans péril. Il faut que je vous fasse sortir de la Tour. Pensez que Gilbert vous attend.

JANE.

Gilbert ! tout pour Gilbert ! Allez ! (Joshua sort.) — Oh ! quel spectacle effrayant ! quand je songe que cela eût été ainsi pour Gilbert ! (Elle s’agenouille sur les degrés de l’un des autels.) — Oh ! merci ! vous êtes bien le Dieu sauveur ! Vous avez sauvé Gilbert ! (Le drap du fond s’entr’ouvre. La reine paraît ; elle s’avance à pas lents vers le devant du théâtre, sans voir Jane, qui se détourne.) — Dieu ! la reine !



Scène II.

JANE, LA REINE.
Jane se colle avec effroi contre l’autel et attache sur la reine un regard de stupeur et d’épouvante.
LA REINE.
Elle se tient quelques instants en silence sur le devant du théâtre, l’œil fixe, pâle, comme absorbée dans une sombre rêverie ; enfin elle pousse un profond soupir.

Oh ! le peuple ! (Elle promène autour d’elle avec inquiétude son regard, qui rencontre Jane.) — Quelqu’un là ! — C’est toi, jeune fille ! c’est vous, lady Jane ! Je vous fais peur. Allons, ne craignez rien. Le guichetier Éneas nous a trahies, vous savez ? Ne craignez donc rien. Enfant, je te l’ai déjà dit, tu n’as rien à craindre de moi, toi. Ce qui faisait ta perte il y a un mois fait ton salut aujourd’hui. Tu aimes Fabiano. Il n’y a que toi et moi sous le ciel qui ayons le cœur fait ainsi, que toi et moi qui l’aimions. Nous sommes sœurs.

JANE.

Madame…

LA REINE.

Oui, toi et moi, deux femmes, voilà tout ce qu’il a pour lui, cet homme. Contre lui tout le reste ! toute une cité, tout un peuple, tout un monde !