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nières profondeurs. Autrefois, le peuple, c’était une épaisse muraille sur laquelle l’art ne peignait qu’une fresque.

Il y a des esprits, et dans le nombre de fort élevés, qui disent que la poésie est morte, que l’art est impossible. Pourquoi ? tout est toujours possible à tous les moments donnés, et jamais plus de choses ne furent possibles qu’au temps où nous vivons. Certes, on peut tout attendre de ces générations nouvelles qu’appelle un si magnifique avenir, que vivifie une pensée si haute, que soutient une foi si légitime en elles-mêmes. L’auteur de ce drame, qui est bien fier de leur appartenir, qui est bien glorieux d’avoir vu quelquefois son nom dans leur bouche, quoiqu’il soit le moindre d’entre eux, l’auteur de ce drame espère tout de ses jeunes contemporains, même un grand poëte. Que ce génie, caché encore, s’il existe, ne se laisse pas décourager par ceux qui crient à l’aridité, à la sécheresse, au prosaïsme des temps. Une époque trop avancée ? pas de génie primitif possible ?… — Laisse-les parler, jeune homme ! Si quelqu’un eût dit à la fin du dix-huitième siècle, après le régent, après Voltaire, après Beaumarchais, après Louis XV, après Cagliostro, après Marat, que les Charlemagnes, les Charlemagnes grandioses, poétiques et presque fabuleux, étaient encore possibles, tous les sceptiques d’alors, c’est-à-dire la société tout entière, eussent haussé les épaules et ri. Hé bien ! au commencement du dix-neuvième siècle, on a eu l’empire et l’empereur. Pourquoi maintenant ne viendrait-il pas un poëte qui serait à Shakespeare ce que Napoléon est à Charlemagne ?

Août 1831.