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BATAILLE ENTE LA MORT ET LA NUIT.

sentait un réveil, et, à travers son refroidissement, avait assez nettement peur. La chaîne, à chaque oscillation, grinçait avec une régularité hideuse. Elle avait l’air de reprendre haleine, puis recommençait. Ce grincement imitait un chant de cigale.

Les approches d’une bourrasque produisent de subites enflures de vent. Brusquement la brise devint bise. L’oscillation du cadavre s’accentua lugubrement. Ce ne fut plus du balancement, ce fut de la secousse. La chaîne qui grinçait, cria.

Il sembla que ce cri était entendu. Si c’était un appel, il fut obéi. Du fond de l’horizon, un grand bruit accourut.

C’était un bruit d’ailes.

Un incident survenait, l’orageux incident des cimetières et des solitudes, l’arrivée d’une troupe de corbeaux.

Des taches noires volantes piquèrent le nuage, percèrent la brume, grossirent, approchèrent, s’amalgamèrent, s’épaissirent, se hâtant vers la colline, poussant des cris. C’était comme la venue d’une légion. Cette vermine ailée des ténèbres s’abattit sur le gibet.

L’enfant, effaré, recula.

Les essaims obéissent à des commandements. Les corbeaux s’étaient groupés sur la potence. Pas un n’était sur le cadavre. Il se parlaient entre eux. Le croassement est affreux. Hurler, siffler, rugir, c’est de la vie; le croassement est une acceptation satisfaite de la putréfaction. On croit entendre le bruit que fait le silence du sépulcre en se brisant. Le croassement est une voix dans laquelle il y a de la nuit. L’enfant était glacé.

Plus encore par l’épouvante que par le froid.

Les corbeaux se turent. Un d’eux sauta sur le squelette. Ce fut un signal. Tous se précipitèrent, il y eut une nuée d’ailes, puis toutes les plumes se refermèrent, et le pendu disparut sous un fourmillement d’ampoules noires remuant dans l’obscurité. En ce moment, le mort se secoua.

Était-ce lui ? Était-ce le vent ? Il eut un bond effroyable. L’ouragan, qui s’élevait, lui venait en aide. Le fantôme entra en convulsion. C’était la rafale, déjà soufflant à pleins poumons, qui s’emparait de lui, et qui l’agitait dans tous les sens. Il devint horrible. Il se mit à se démener. Pantin épouvantable, ayant pour ficelle la chaîne d’un gibet. Quelque parodiste de l’ombre avait saisi son fil et jouait de cette momie. Elle tourna et sauta comme prête à se disloquer. Les oiseaux, effrayés, s’envolèrent. Ce fut comme un rejaillissement de toutes ces bêtes infâmes. Puis ils revinrent. Alors une lutte commença.

Le mort sembla pris d’une vie monstrueuse. Les souffles le soulevaient comme s’ils allaient l’emporter ; on eût dit qu’il se débattait et qu’il faisait