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NOTES DE L’ÉDITEUR.

comme un nouveau bienfait du chantre suprême qui vit aujourd’hui parmi nous la belle et noble vie d’un homme chérissant l’humanité qu’il sert et que l’humanité chérira à jamais.

Revue des Deux-Mondes.
Louis Étienne.

Ce roman est inférieur aux Travailleurs de la mer autant que celui-ci l’était aux Misérables.

L’analyse peut s’achever en deux mots. Les trente dernières pages où Gwynplaine retrouve Dea mourante et se jette à la mer pour ne pas lui survivre, contiennent tout ce que le roman a de plus pathétique, tout ce qui laisse dans le cœur une impression profonde. Pour y arriver il en faut traverser plus de trois cents qui manquent trop de vérité ainsi que d’intérêt.

La lecture de l’Homme qui Rit aboutit à la même conclusion que celle des œuvres précédentes de l’auteur, mais autrement décisive et impérieuse. Il y a des habitudes intellectuelles qui tiennent à l’air que l’on respire ; les organisations les plus puissantes, les tempéraments les plus robustes n’y sauraient résister. Que sera-ce lorsque la perspective de l’exil y ajoutera leur illusion ?

Le Journal des Débats.
Jules Janin.

C’est un livre irritant et charmant tout ensemble. On le quitte, on le reprend ; on l’exècre, on l’admire. Il s’agite éloquent depuis tantôt six mois au fond de mon cerveau, tour à tour charme et remords, épouvante, enchantement. On ne peut se défaire de ces créatures surnaturelles dans un monde odieux. Fuyez au fond de la caverne, et vous retrouverez ces yeux de fantôme qui rencontrent les nôtres comme dans un rêve. Allons, c’est décidé, ne résistons pas davantage. Parlons de l’Homme qui Rit en nous souvenant de la loi universelle de ce monde livré aux disputes : la nature n’a rien engendré sans querelle et sans opposition

Notez bien que là-bas, pendant que les hommes se livrent à leurs crimes, l’océan, la nuit, la tempête, les agents frénétiques du septentrion (frenetici scptentrionum) accomplissent leur tâche insensée.

Dans un récit de voyage écrit en latin en 1645, il était fort question des tourmentes que décrit M. Victor Hugo dans son chapitre intitulé « la Neige et la Nuit » : La neige était dure comme une pierre et la poussière était mêlée à de la grêle[1].

Voilà ce que le poète aura pu lire dans le récit d’Adam de Brème.

Et, dit-il encore, la glace était si noire et si sèche à cause de son antiquité qu’elle brûlait comme du charbon. À chaque page de l’Homme qui Rit, on démontrerait facilement la science et l’autorité de M. Victor Hugo. Sa gloire en ce moment est de ne rien inventer. En revanche, il appuie hardiment sur les preuves les plus authentiques. Il sait par cœur les Portulans, les Miroirs de mer et les Flambeaux du marin[2]. Même il en relève avec soin toutes les erreurs comme un pilote intelligent et dévoué.

Jules Janin décrit la tempête et montre l’enfant trouvant la petite fille dans la neige, et il ajoute :

Peu de gens à ces signes de désolation, d’accablement, de force exagérée, reconnaîtraient dans ces tristesses et dans ces fièvres le poète heureux de nos belles années, quand il vivait avec nous, sous les peupliers de son jardin. … à côté de sa belle et charmante épouse envolée il y a juste une année, les enfants se roulant dans la mousse avec des cris joyeux…

M. Hugo, dans son livre, a décrit le moindre accident de la terre et du ciel. Cerveau fait pour tout comprendre, langue écrite pour tout exprimer ; il sait le germe, il sait l’embryon ; il voit des choses que ne saurait voir aucun regard mortel ; il découvre le fantôme au sein de l’ombre ; il se promène à l’aise au fond du gouffre.

Le Livre d’or.
Émile Blémont.

L’Homme qui Rit est une des plus hautes conceptions de Victor Hugo, peut-être sa

  1. Frigido ab axe vcnti crumpunt, secum terentes tegulas, ramos sirus — après il tomba de la grêle dure, luisante et de l’épaisseur du petit doigt.
  2. Le Portulan, de la mer ou le Vrai guide des pilotes côtiers, par Henri Michelot, pilote sur les galères du roi.