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HISTORIQUE DE L’HOMME QUI RIT

Sur le dos de la couverture du tome I on lisait :

Pour paraître prochainement :
LE THÉÂTRE EN LIBERTÉ
DRAMES ET COMÉDIES.
DIEU
POËME
LA FIN DE SATAN
POËME

Le Théâtre en liberté, sauf trois petites pièces, était écrit en entier. Les poèmes Dieu, achevé depuis 1855, et la Fin de Satan, commencé en 1854, repris en 1859 et en 1860, avaient été déjà annoncés sur le dos de la couverture des Contemplations en 1856.

Dès le samedi 8 mai, le nouveau roman de Victor Hugo pouvait être acheté à part ; mais, par suite des exigences de Lacroix et de Panis, les quatre volumes se vendaient 40 francs à Paris. On pouvait se les procurer pour 30 francs seulement à Londres, ainsi que l’annonçait le Pall mall Gazette.

La fabrication lente et défectueuse du roman, le lancement fâcheux, les dissentiments sur le mode d’application du traité, avaient laissé des traces d’amertume entre l’auteur et l’éditeur. Il paraissait difficile de maintenir bien longtemps l’ancienne entente cordiale. Victor Hugo le comprenait. Il écrivit à son éditeur cette lettre, dont nous avons le brouillon :

J’ai longtemps réfléchi avant de prendre la détermination dont je vais avoir l’honneur de vous entretenir. Il me resterait à vous livrer un volume de vers pour lequel vous m’avez donné, le mois dernier, aux termes de mon traité, 40,000 francs. Il me conviendrait beaucoup, et je pense qu’il vous conviendrait à vous aussi, de ne pas donner suite à des relations que nous ne comprenons plus, vous et moi, de la même manière. Je désire ne pas vous livrer ce volume de vers et vous rembourser la somme reçue pour ce livre. Si, comme je l’espère, ma proposition vous agrée, vous pouvez tirer à vue sur moi pour cette somme de 40,000 francs. Je la tiens à votre disposition.

En note :

Plus un mois échu d’intérêts à 5 p. 100.

Les volumes de vers que Victor Hugo avait dans ses cartons à cette époque étaient : la Pitié suprême, Dieu, les Années funestes, le Théâtre en liberté.

L’Homme qui Rit avait paru dans de mauvaises conditions. S’il avait été accueilli avec enthousiasme par tous les lettrés, il n’avait pas obtenu le même succès de vente que les œuvres antérieures ; ce qui s’explique suffisamment par les déplorables spéculations qui avaient mécontenté le public et les libraires. Victor Hugo ne voulait pas voir là le seul motif de l’insuccès relatif. Il avait déjà, en 1868, signalé, à tort sans doute, un désaccord entre l’opinion et lui.

Nous avons trouvé, dans une note de cette époque, ces lignes :

Mes œuvres actuelles étonnent, et les intelligences contemporaines s’y dérobent le plus qu’elle peuvent.

Était-ce bien désaccord ? ne fallait-il pas incriminer plus justement cette tendance habituelle du public à considérer, surtout après de retentissants succès, l’œuvre publiée en dernier lieu comme étant inférieure à ses devancières ?

C’est ce que Victor Hugo pressentait et constatait, en ces termes, avant l’apparition du livre :

Quand Notre-Dame de Paris fut publiée, on a dit :

— C’est inférieur à Han d’Istande.

On se trompait.

Quand les Misérables et les Travailleurs de la mer ont paru, on a dit :

— C’est inférieur à Notre-Dame de Paris.

On s’est trompé.