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HISTORIQUE DE L’HOMME QUI RIT

francs par volume, et non de cinquante mille, comme on l’a imprimé par erreur, vous avez acquis de moi le droit de publication et de traduction, pendant douze années, de l’Homme qui Rit, et d’un autre ouvrage que j’aurai à vous livrer plus tard.

Aujourd’hui vous faites paraître l’Homme qui Rit dans des conditions de publication imprévues et inusitées, et qui, en équité, excèdent évidemment votre droit.

Les remontrances ont été vaines. Vous avez persisté, et vous persistez. Je ne m’adresserai pas aux tribunaux. La perte de mon procès contre le Théâtre italien[1], procès gagné ensuite par Mme Scribe, m’a prouvé que, dans ma situation, être hors de France, c’est être hors la loi. Cette situation, je l’accepte.

Du reste, en présence du fait insolite auquel donne lieu la mise en vente de l’Homme qui Rit, me tenir à l’écart me suffit. Le mode inattendu de publication, adopté par vous pour ce livre, m’étonne, je le déclare, je n’en suis pas solidaire, et je tiens à le dire hautement.

Recevez l’assurance de mes sentiments distingués.

Victor Hugo

Hugo accompagnait cette lettre des réflexions suivantes :

Voici ma lettre en-cas à M. Lacroix. Elle lui serait remise, puis publiée. Lisez-la avec Auguste. Je crois que vous la trouverez bien. J’ai tâché de la faire modérée et dure. Lacroix le mérite. Je n’ai pu préciser davantage le grief. Car développer et indiquer le dommage, ce serait donner au public de nouvelles raisons contre et ajouter encore à tout ce qui va nuire au livre.

Le 8 avril, Vacquerie écrivait à Victor Hugo :

Il n’est plus temps d’agir sur Lacroix. Au moment où j’ai reçu votre lettre, les annonces étaient dans les journaux et les affiches sur les murs.

Pour rien l’Homme qui Rit, voilà tout ce que les passants lisent et vont lire. C’est déplorable. Et un boniment qui serait bien pour M. Lecoq ou pour Faringbea.

Et Vacquerie annonce qu’il va avec Meurice chez Lacroix, qu’il lira la lettre, mais qu’il est d’avis d’attendre une huitaine pour la publier.

L’Homme qui Rit ne paraît toujours pas. L’imprimerie est en désarroi ; on compose à un endroit, on tire à un autre.

À la même date, 8 avril, Paul Meurice espérait obtenir que, concurremment avec sa combinaison à prime, Lacroix consentît à vendre des exemplaires séparés et à donner le choix au public.

Dans l’intervalle Victor Hugo avait réfléchi : sa première lettre à Lacroix lui avait paru un peu sèche et un peu dure, et puisqu’elle n’avait pas encore été remise, il en avait écrit une seconde, plus calme, plus modérée qu’il avait expédiée à Auguste Vacquerie ; mais la veille Vacquerie avait lu la première lettre à Lacroix. Il l’annonce à Victor Hugo, Lacroix « écumait », le surlendemain il lui avait lu la seconde, Lacroix « n’écumait plus », mais il promettait d’écrire à Victor Hugo « un éloge ampoulé de sa combinaison. Il est très fier d’avoir eu 500 souscriptions en 4 jours ».

L’imprimerie était toujours en pleine anarchie ; les ouvriers ne venaient pas parce qu’ils n’étaient pas payés ; le 15 avril, Vacquerie se lamentait : « Avec la sacrée imprimerie où nous sommes, nous ne paraîtrons jamais. »

Son avis est d’attendre encore pour publier la lettre ; l’effet de la combinaison étant déplorable, les libraires étant tous irrités, Lacroix sera probablement dégrisé de sa combinaison et donnera le choix au public ; néanmoins, Paul Meurice tient fermement pour la publication de la lettre, parce qu’il faut que Victor Hugo se dégage de cette exorbitante et insolente spéculation.

Lacroix s’entêtait, persistait dans sa grande pensée, refusait de donner l’option au public, menaçait de publier une lettre violente, prêt même à ne pas re-

  1. Sans doute pour La pezia Borgi…