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RELIQUAT DE L’HOMME QUI RIT

le godet, et souffle. Alors la houle s’engouffre dans l’étroite fente, la rafale s’efforce, l’enflure de la vague se précipite, le flot donne l’assaut au rocher, et toute la crique n’est plus qu’un baquet de bave. Malheur à qui flânerait là ! Au repos ces petits havres sont charmants.

On n’y vient pas de terre ; les sentiers manquent ; pourtant les chercheurs d’œufs, les chevriers, et les passants aventuriers, finissent toujours par trouver dans le rocher quelque casse-cou en zigzag qui les mène dans ces recoins. Qui y vient de la mer croit entrer dans une rue et se trouve dans une impasse. Des deux côtés et au fond la roche à pic. Quelques-unes de ces criques n’ont pas de plage. La roche, de toutes parts verticale, revêtue de varech à hauteur de marée, plonge net dans l’eau, sans transition et sans complaisance. Soyez oiseau ou poisson. Cette roche, toute perpendiculaire, droite, blanche, lisse, est percée de trous pareils à des lucarnes où nichent les goélands, et rayée de stries horizontales qui semblent marquer des étages. Pas de lieu plus désert et l’on dirait des maisons. Tels sont ces étranges culs-de-sac de la mer.

Sitôt mai arrivé, dès que le tardif printemps anglais commence à poindre, cette baie de Portland, ouverte aux souffles du sud, s’emplit d’hirondelles, de martinets et de grimpereaux. En même temps, dans les anses solitaires du golfe, les hauts pans de roche, les larges tables calcaires inclinées et fendues, se hérissent gracieusement de toutes sortes de folles broussailles, semant des parfums sur la mer à chaque secousse du vent. Ce ne sont que des ronces, mais quoi de plus beau qu’une ronce au printemps ! La ronce, comme la fîlle, a la beauté du diable. Jeunesse, tout est dans ce mot ; aurore, tout est dans ce rayon. Au milieu de ces écroulements et de ces blocs, éclate une débauche de germination sauvagement gaie. Bouquets partout. Toutes les façades des brisants se pavoisent. Les bourgeons des arbustes, les frondes des fougères, les rondeurs veloutées des mousses, les feuilles de drap des bouillons blancs, les cochlarias, les digitales, les aubépines, les pistils, les pétales, les étamines, les entre-croisements de branches, apparaissent, confusément mêlés au soleil sur les surplombs inaccessibles de la falaise. Pas une ride de la pierre qui n’ait son petit arbre ; pas une lézarde qui n’ait sa touffe, espèce de forêt naine.

D’une anfractuosité à l’autre, un rameau pend, un branchage monte, une vrille s’accroche, un nœud s’ébauche, un mariage se contracte. Les pousses nouvelles se cherchent, les lianes s’entr’aident, les éclosions se caressent, les floraisons se félicitent, les végétations fraternisent. Tout ce frissonnant petit monde se salue au vent. Les fissures regorgent de verdure ; une épaisseur heureuse se forme ; toutes sortes d’enchevêtrements frémissants d’exfoliations, de ramures et de feuillages, gardent la fraîcheur et conservent l’ombre sous des transparences superposées. Aucune escalade à craindre ; pas de trouble-fête possible ; l’escarpement sauve le jardin, le précipice défend l’oasis ; les rocs disproportionnés, les hauts promontoires, les vastes écueils, toutes les choses démesurées de la mer mettent leur grandeur au service de cette grâce ; le printemps rassuré s’épanouit dans leur abîme ; une variété de plantes et d’herbes à remplir un dictionnaire de botanique germe pêle-mêle dans les rochers monstrueux, croît, verdit, se dore, s’empourpre, rit, embaume ; et cela fait, sous la protection majestueuse de ces colosses, des asiles en fleur, des lieux de rêve, des retraites, des cachettes, des demeures confiantes et tremblantes, des cavernes de