Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/560

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
542
RELIQUAT DE L’HOMME QUI RIT

Le monstre fait, par caprice royal et de main humaine, est un fait, le plus effrayant peut-être de ceux qui caractérisent le vieux monde. L’histoire l’effleure et l’indique à peine. Il nous a paru utile de mettre ce côté du passé en pleine lumière avant de donner au public le livre qui suivra celui-ci : Quatrevingt-treize.

La monarchie à outrance a produit la révolution.


Un grand procès se plaide : le procès de l’avenir contre le passé. Le présent est rapporteur et l’humanité est témoin.

L’histoire amasse lentement le dossier de tout ce vieux crime qu’on appelle la monarchie. De ce crime l’aristocratie a été tantôt juge, tantôt complice. Complice, elle doit être condamnée. Juge, elle doit être appréciée. Déclaration d’amour à l’Angleterre.

Mais la vérité veut être dite.

Un fait terrible du bon plaisir royal a été longtemps laissé dans l’ombre. Un fait de mutilation qui commence chez le pape et ne finit pas chez le sultan. L’auteur a éclairé ce fait. Il est nécessaire que tout ce qui, soit en France, soit en Angleterre, a amené 93, soit approfondi.

Ce devoir, l’auteur a voulu le remplir.


La révolution française est, à beaucoup d’égards, la révolution anglaise. 1789 a travaillé en Angleterre presque autant qu’en France.


Des sociétés vieillies résulte un certain état difforme. Tout finit par y être monstre, le gouvernement, la civilisation, la richesse, la misère, la loi. Le roi est un cas tératologique, le seigneur est une excroissance. Le prêtre est un parasite ; tous les dogmes, royauté, code, bible, s’exfolient en chimères. Les fantaisies de la toute-puissance vont jusqu’à créer des monstres matériels, victimes des monstres moraux. Les sexes prennent les vices les uns des autres. L’homme s’effémine, la femme « s’humanise ». L’un perd la honte, l’autre la pudeur. Les mœurs profondes reflètent tout cela, qui est sur leur rive. De plus en plus les jouissances s’épanouissent, les souffrances se creusent, les indifférences deviennent féroces. On se hait. Chacun prépare sa tempête. La matière opprime. L’âme se débat. De là le chaos.

Sur le chaos plane l’esprit.

Cet état informe et difforme, que le monstre résume, tous les peuples le présentent à un moment donné. Chez deux peuples surtout il est caractéristique ; en Angleterre après 1688, révolution fausse ; en France avant 1789, révolution vraie. 93 conclut.


17 juillet 1868.

Notre civilisation, celle du moins dont nous sommes le produit immédiat, comporte-t-elle, sous d’autres formes, les grandes lignes fatales et criminelles de l’âge homérique et biblique ? Peut-elle avoir, elle aussi, ses Ixion et ses Sisyphe, ses roues qui tournent toujours, ses rochers qui retombent sans cesse ?