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L’HOMME QUI RIT

la naissance, français par le bâton de maréchal, et anglais par la pairie, qui, chassé par l’édit de Nantes, après avoir fait la guerre à l’Angleterre comme français, fit la guerre à la France comme anglais. Au banc des lords spirituels, il n’y avait que l’archevêque de Canterbury, primat d’Angleterre, tout en haut, et en bas le docteur Simon Patrick, évêque d’Ely, causant avec Evelyn Pierrepont, marquis de Dorchester, qui lui expliquait la différence entre un gabion et une courtine, et entre les palissades et les fraises, les palissades étant une rangée de poteaux devant les tentes, destinée à protéger le campement, et les fraises étant une collerette de pieux pointus sous le parapet d’une forteresse empêchant l’escalade des assiégeants et la désertion des assiégés ; et le marquis enseignait à l’évêque de quelle façon on fraise une redoute, en mettant les pieux moitié dans la terre et moitié dehors. Thomas Thynne, vicomte Weymouth, s’était approché d’un candélabre et examinait un plan de son architecte pour faire à son jardin de Long Leate, en Wiltshire, une pelouse dite « gazon coupé », moyennant des carreaux de gazon, alternant avec des carreaux de sable jaune, de sable rouge, de coquilles de rivière et de fine poudre de charbon de terre. Au banc des vicomtes il y avait un pêle-mêle de vieux lords, Essex, Ossulstone, Peregrine, Osborn, William Zulestein, comte de Rochford, parmi lesquels quelques jeunes, de la faction qui ne portait pas perruque, entourant Price Devereux, vicomte Hereford, et discutant la question de savoir si une infusion de houx des apalaches est du thé. — À peu près, disait Osborn. — Tout à fait, disait Essex. Ce qui était attentivement écouté par Pawlets de Saint-John, cousin du Bolingbroke dont Voltaire plus tard a été un peu l’élève, car Voltaire, commencé par le père Porée, a été achevé par Bolingbroke. Au banc des marquis, Thomas de Grey, marquis de Kent, lord-chambellan de la reine, affirmait à Robert Bertie, marquis de Lindsey, lord-chambellan d’Angleterre, que c’était par deux français réfugiés, monsieur Lecoq, autrefois conseiller au parlement de Paris, et monsieur Ravenel, gentilhomme breton, qu’avait été gagné le gros lot de la grande loterie anglaise en 1694. Le comte de Wymes lisait un livre intitulé : Pratique curieuse des oracles des sibylles. John Campbell, comte de Greenwich, fameux par son long menton, sa gaîté et ses quatrevingt-sept ans, écrivait à sa maîtresse. Lord Chandos se faisait les ongles. La séance qui allait suivre devant être une séance royale où la couronne serait représentée par commissaires, deux assistants door-keepers disposaient en avant du trône un banc de velours couleur feu. Sur le deuxième sac de laine était assis le maître des rôles, sacrorum scriniorum magister, lequel avait alors pour logis l’ancienne maison des juifs convertis. Sur le quatrième sac, les deux sous-clercs à genoux feuilletaient des registres.

Cependant le lord-chancelier prenait place sur le premier sac de laine, les