Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
435
SATAN.

— Eh bien, Gwynplaine, tu es à moi. Commente ton service. Mon bien-aimé, lis-moi ce que m’écrit la reine.

Gwynplaine prit le vélin, il défit le pli, et, d’une voix où il y avait toutes sortes de tremblements, il lut :

« Madame,

« Nous vous envoyons gracieusement la copie ci-jointe d’un procès-verbal, certifié et signé par notre serviteur William Cowper, lord-chancelier de ce royaume d’Angleterre, et duquel il résulte cette particularité considérable que le fils légitime de lord Linnœus Clancharlie vient d’être constaté et retrouvé, sous le nom de Gwynplaine, dans la bassesse d’une existence ambulante et vagabonde et parmi des saltimbanques et bateleurs. Cette suppression d’état remonte à son plus bas âge. En conséquence des lois du royaume, et en vertu de son droit héréditaire, lord Fermain Clancharlie, fils de lord Linnœus, sera, ce jourd’hui même, admis et réintégré dans la chambre des lords. C’est pourquoi, voulant vous bien traiter et vous conserver la transmission des biens et domaines des lords Clancharlie Hunkerville, nous le substituons dans vos bonnes grâces à lord David Dirry-Moir. Nous avons fait amener lord Fermain dans votre résidence de Corleone-lodge ; nous commandons et voulons, comme reine et sœur, que notre dit lord Fermain Clancharlie, nommé jusqu’à ce jour Gwynplaine, soit votre mari, et vous l’épouserez, et c’est notre plaisir royal. »

Pendant que Gwynplaine lisait, avec des intonations qui chancelaient presque à chaque mot, la duchesse, soulevée du coussin du canapé, écoutait, l’œil fixe. Comme Gwynplaine achevait, elle lui arracha la lettre.

Anne, reine, dit-elle, lisant la signature, avec une intonation de rêverie.

Puis elle ramassa à terre le parchemin qu’elle avait jeté, et y promena son regard. C’était la déclaration des naufragés de la Matutina, copiée sur un procès-verbal signé du shériff de Southwark et du lord-chancelier.

Le procès-verbal lu, elle relut le message de la reine. Puis elle dit :

— Soit.

Et, calme, montrant du doigt à Gwynplaine la portière de la galerie par où il était entré :

— Sortez, dit-elle.

Gwynplaine, pétrifié, demeura immobile.

Elle reprit, glaciale :

— Puisque vous êtes mon mari, sortez.