Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
434
L’HOMME QUI RIT

Elle répéta : — Je t’aime !

Et, frénétique, elle l’étreignit contre sa poitrine.

Gwynplaine haletait.

Tout à coup, tout près d’eux, une petite sonnerie ferme et claire vibra. C’était le timbre scellé dans le mur qui tintait. La duchesse tourna la tête, et dit :

— Qu’est-ce qu’elle me veut ?

Et brusquement, avec le bruit d’une trappe à ressort, le panneau d’argent incrusté d’une couronne royale s’ouvrit.

L’intérieur d’un tour, tapissé de velours bleu prince, apparut, avec une lettre sur une assiette d’or.

Cette lettre était volumineuse et carrée et posée de façon à montrer le cachet qui était une grande empreinte sur de la cire vermeille. Le timbre continuait de sonner.

Le panneau ouvert touchait presque au canapé où tous deux étaient assis. La duchesse, penchée et se retenant d’un bras au cou de Gwynplaine, étendit l’autre bras, prit la lettre sur l’assiette, et repoussa le panneau. Le tour se referma et le timbre se tut.

La duchesse cassa la cire entre ses doigts, défit l’enveloppe, en tira deux plis qu’elle contenait, et jeta l’enveloppe à terre aux pieds de Gwynplaine.

Le sceau de cire brisé restait déchiffrable, et Gwynplaine put y distinguer une couronne royale et au-dessous la lettre A.

L’enveloppe déchirée étalait ses deux côtés, de sorte qu’on pouvait en même temps lire la suscription : À sa Grâce la ducheße Josiane.

Les deux plis qu’avait contenus l’enveloppe étaient un parchemin et un vélin. Le parchemin était grand, le vélin était petit. Sur le parchemin était empreint un large sceau de chancellerie, en cette cire verte, dite cire de seigneurie. La duchesse, toute palpitante et les yeux noyés d’extase, fit une imperceptible moue d’ennui.

— Ah ! dit-elle, qu’est-ce qu’elle m’envoie là ? Une paperasse ! Quel trouble-fête que cette femme !

Et, laissant de côté le parchemin, elle entr’ouvrit le vélin.

— C’est de son écriture. C’est de l’écriture de ma sœur. Cela me fatigue. Gwynplaine, je t’ai demandé si tu savais lire. Sais-tu lire ?

Gwynplaine fit de la tête signe que oui.

Elle s’étendit sur le canapé, presque comme une femme couchée, cacha soigneusement ses pieds sous sa robe et ses bras sous ses manches, avec une pudeur bizarre, tout en laissant voir son sein, et, couvrant Gwynplaine d’un regard passionné, elle lui tendit le vélin.