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L’HOMME QUI RIT

II

ressemblance d’un palais avec un bois

Dans les palais à l’italienne, Corleone-lodge était de cette sorte, il y avait très peu de portes. Tout était rideau, portière, tapisserie.

Pas de palais à cette époque qui n’eût, à l’intérieur, un singulier fouillis de chambres et de corridors où abondait le faste ; dorures, marbres, boiseries ciselées, soies d’orient, avec des recoins pleins de précaution et d’obscurité, d’autres pleins de lumière. C’étaient des galetas riches et gais, des réduits vernis, luisants, revêtus de faïence de Hollande ou d’azulejos de Portugal, des embrasures de hautes fenêtres coupées en soupentes, et des cabinets tout en vitres, jolies lanternes logeables. Les épaisseurs de mur, évidées, étaient habitables. Çà et là, des bonbonnières, qui étaient des garde-robes. Cela s’appelait « les petits appartements ». C’est là qu’on commettait les crimes.

Si l’on avait à tuer le duc de Guise ou à fourvoyer la jolie présidente de Sylvecane, ou, plus tard, à étouffer les cris des petites qu’amenait Lebel, c’était commode. Logis compliqué, inintelligible à un nouveau venu. Lieu des rapts ; fond ignoré où aboutissaient les disparitions. Dans ces élégantes cavernes les princes et les seigneurs déposaient leur butin ; le comte de Charolais y cachait madame Courchamp, la femme du maître des requêtes ; M. de Monthulé y cachait la fille de Haudry, le fermier de la Croix Saint-Lenfroy ; le prince de Conti y cachait les deux belles boulangères de l’Ile-Adam ; le duc de Buckingham y cachait la pauvre Pennywell, etc. Les choses qui s’accomplissaient là étaient de celles qui se font, comme dit la loi romaine, vi, clam et precario, par force, en secret, et pour peu de temps. Qui était là y restait selon le bon plaisir du maître. C’étaient des oubliettes, dorées. Cela tenait du cloître et du sérail. Des escaliers tournaient, montaient, descendaient. Une spirale de chambres s’emboîtant vous ramenait à votre point de départ. Une galerie s’achevait en oratoire. Un confessionnal se greffait sur une alcôve. Les ramifications des coraux et les percées des éponges avaient probablement servi de modèles aux architectes des « petits appartements » royaux et seigneuriaux. Les embranchements étaient inextricables. Des portraits pivotant sur des ouvertures offraient des entrées et des sorties. C’était machiné, il le fallait bien ; il s’y jouait des drames. Les étages de cette ruche allaient des caves aux mansardes. Madrépore bizarre incrusté dans tous les palais, à commencer par Versailles, et qui était comme l’habitation des pygmées dans la demeure