Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/411

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
393
CE QU’IL FAIT.

eût fermé les yeux eût cru être dans une place publique un jour de fête ou un jour d’émeute. Le tourbillon de bégaiements et de clameurs qui sortait d’Ursus chantait, clabaudait, causait, toussait, crachait, éternuait, prenait du tabac, dialoguait, faisait les demandes et les réponses, tout cela à la fois. Les syllabes ébauchées rentraient les unes dans les autres. Dans cette cour où il n’y avait rien, on entendait des hommes, des femmes, des enfants. C’était la confusion claire du brouhaha. À travers ce fracas, serpentaient, comme dans une fumée, des cacophonies étranges, des gloussements d’oiseaux, des jurements de chats, des vagissements d’enfants qui tettent. On distinguait l’enrouement des ivrognes. Le mécontentement des dogues sous les pieds des gens bougonnait. Les voix venaient de loin et de près, d’en haut et d’en bas, du premier plan et du dernier. L’ensemble était une rumeur, le détail était un cri. Ursus cognait du poing, frappait du pied, jetait sa voix tout au fond de la cour, puis la faisait venir de dessous terre. C’était orageux et familier. Il passait du murmure au bruit, du bruit au tumulte, du tumulte à l’ouragan. Il était lui et tous. Soliloque polyglotte. De même qu’il y a le trompe-l’œil, il y a le trompe-l’oreille. Ce que Protée faisait pour le regard, Ursus le faisait pour l’ouïe. Rien de merveilleux comme ce fac-similé de la multitude. De temps en temps il écartait la portière du gynécée et regardait Dea. Dea écoutait.

De son côté dans la cour le boy faisait rage.

Vinos et Fibi s’essoufflaient consciencieusement dans les trompettes et se démenaient sur les tambourins. Maître Nicless, spectateur unique, se donnait, comme elles, l’explication tranquille qu’Ursus était fou, ce qui du reste n’était qu’un détail grisâtre ajouté à sa mélancolie. Le brave hôtelier grommelait : Quel désordre ! Il était sérieux comme quelqu’un qui se souvient qu’il y a des lois.

Govicum, ravi d’être utile à du désordre, se démenait presque autant qu’Ursus. Cela l’amusait. De plus, il gagnait ses sous.

Homo était pensif.

À son vacarme, Ursus mêlait des paroles.

— C’est comme à l’ordinaire, Gwynplaine, il y a de la cabale. Nos concurrents sapent nos succès. La huée, assaisonnement du triomphe. Et puis les gens sont trop nombreux. Ils sont mal à leur aise. L’angle des coudes du voisin ne dispose pas à la bienveillance. Pourvu qu’ils ne cassent pas les banquettes ! Nous allons être en proie à une population insensée. Ah ! si notre ami Tom-Jim-Jack était là ! mais il ne vient plus. Vois donc toutes ces têtes les unes sur les autres. Ceux qui sont debout n’ont pas l’air content, quoique se tenir debout soit, selon Galien, un mouvement, que ce grand homme appelle « le mouvement tonique ». Nous abrégerons le spectacle. Comme il