Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VIII.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
193
BARKILPHEDRO.

— Dans les fonctions auxquelles tu n’es pas propre, laquelle désires-tu ?
— Celle de déboucheur de bouteilles de l’océan.

Le rire de Josiane redoubla.

— Qu’est-ce que cela ? Tu te moques.
— Non, madame.
— Je vais m’amuser à te répondre sérieusement, dit la duchesse. Qu’est-ce que tu veux être ? Répète.
— Déboucheur de bouteilles de l’océan.
— Tout est possible à la cour. Est-ce qu’il y a un emploi comme cela ?
— Oui, madame.
— Apprends-moi des choses nouvelles. Continue.
— C’est un emploi qui est.
— Jure-le-moi sur l’âme que tu n’as pas.
— Je le jure.
— Je ne te crois point.
— Merci, madame.
— Donc tu voudrais ? … Recommence.
— Décacheter les bouteilles de la mer.
— Voilà une fonction qui ne doit pas donner grande fatigue. C’est comme peigner le cheval de bronze.
— À peu près.
— Ne rien faire. C’est en effet la place qu’il te faut. Tu es bon à cela.
— Vous voyez que je suis propre à quelque chose.
— Ah çà ! tu bouffonnes. La place existe-t-elle ?

Barkilphedro prit l’attitude de la gravité déférente.

— Madame, vous avez un père auguste, Jacques II, roi, et un beau-frère illustre, Georges de Danemark, duc de Cumberland. Votre père a été et votre beau-frère est lord-amiral d’Angleterre.
— Sont-ce là les nouveautés que tu viens m’apprendre ? Je sais cela aussi bien que toi.
— Mais voici ce que Votre Grâce ne sait pas. Il y a dans la mer trois sortes de choses : celles qui sont au fond de l’eau, Lagon ; celles qui flottent sur l’eau, Flotson et celles que l’eau rejette sur la terre, Jetson.
— Après ?
— Ces trois choses-là. Lagon, Flotson, Jetson, appartiennent au lord haut-amiral.
— Après ?
— Votre Grâce comprend ?
— Non.