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L'HOMME QUI RIT

lord David Dirry-Moir unique et définitif héritier, à défaut d’enfant légitime, et par le bon plaisir royal, de lord Linnoeus Clancharlie, son père naturel, l’absence de toute autre filiation et descendance étant constatée ; de quoi les patentes furent enregistrées en chambre des lords. Par ces patentes, le roi substituait lord David Dirry-Moir aux titres, droits et prérogatives dudit défunt lord Linnœus Clancharlie, à la seule condition que lord David épouserait, quand elle serait nubile, une fille, en ce moment-là tout enfant et âgée de quelques mois seulement, que le roi avait au berceau faite duchesse, on ne savait trop pourquoi. Lisez, si vous voulez, on savait trop pourquoi. On appelait cette petite la duchesse Josiane.

La mode anglaise était alors aux noms espagnols. Un des bâtards de Charles II s’appelait Carlos, comte de Plymouth. Il est probable que Josiane était la contraction de Josefa y Ana. Cependant peut-être y avait-il Josiane comme il y avait Josias. Un des gentilshommes de Henri III se nommait Josias du Passage.

C’est à cette petite duchesse que le roi donnait la pairie de Clancharlie. Elle était pairesse en attendant qu’il y eût un pair. Le pair serait son mari. Cette pairie reposait sur une double châtellenie, la baronnie de Clancharlie et la baronnie de Hunkerville ; en outre les lords Clancharlie étaient, en récompense d’un ancien fait d’armes et par permission royale, marquis de Corleone en Sicile. Les pairs d’Angleterre ne peuvent porter de titres étrangers ; il y a pourtant des exceptions ; ainsi Henry Arundel, baron Arundel de Wardour, était, ainsi que lord Clifford, comte du Saint-Empire, dont lord Cowper est prince ; le duc de Hamilton est en France duc de Châtellerault ; Basil Feilding, comte de Denbigh, est en Allemagne comte de Habsbourg, de Lauffenbourg et de Rheinfelden. Le duc de Marlborough était prince de Mindelheim en Souabe, de même que le duc de Wellington était prince de Waterloo en Belgique. Le même lord Wellington était duc espagnol de Ciudad-Rodrigo, et comte portugais de Vimeira. Il y avait en Angleterre, et il y a encore, des terres nobles et des terres roturières. Les terres des lords Clancharlie étaient toutes nobles. Ces terres, châteaux, bourgs, bailliages, fiefs, rentes, alleux et domaines adhérents à la pairie Clancharlie-Hunkerville appartenaient provisoirement à lady Josiane, et le roi déclarait qu’une fois Josiane épousée, lord David Dirry-Moir serait baron Clancharlie.

Outre l’héritage Clancharlie, lady Josiane avait sa fortune personnelle. Elle possédait de grands biens, dont plusieurs venaient des dons de Madame sans queue au duc d’York. Madame sans queue, cela veut dire Madame tout court. On appelait ainsi Henriette d’Angleterre, duchesse d’Orléans, la première femme de France après la reine.