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LORD DAVID DIRRY-MOIR.

était vaillant homme de guerre. C’était un seigneur brave, bien fait, beau, généreux, fort grand de mine et de manières. Sa personne ressemblait à sa qualité. Il était de haute taille comme de haute naissance.

Il fut presque un moment en passe d’être nommé groom of the stole, ce qui lui eût donné le privilège de passer la chemise au roi ; mais il faut pour cela être prince ou pair.

Créer un pair, c’est beaucoup. C’est créer une pairie, cela fait des jaloux. C’est une faveur ; une faveur fait au roi un ami, et cent ennemis, sans compter que l’ami devient ingrat. Jacques II, par politique, créait difficilement des pairies, mais les transférait volontiers. Une pairie transférée ne produit pas d’émoi. C’est simplement un nom qui continue. La lordship en est peu troublée.

La bonne volonté royale ne répugnait point à introduire lord David Dirry-Moir dans la chambre haute, pourvu que ce fût par la porte d’une pairie substituée. Sa majesté ne demandait pas mieux que d’avoir une occasion de faire David Dirry-Moir, de lord de courtoisie, lord de droit.

III

Cette occasion se présenta.

Un jour on apprit qu’il était arrivé au vieil absent, lord Linnœus Clancharlie, diverses choses dont la principale était qu’il était trépassé. La mort a cela de bon pour les gens, qu’elle fait un peu parler d’eux. On raconta ce qu’on savait, ou ce qu’on croyait savoir, des dernières années de lord Linnœus. Conjectures et légendes probablement. À en croire ces récits, sans doute très hasardés, vers la fin de sa vie, lord Clancharlie aurait eu une recrudescence républicaine telle, qu’il en était venu, affirmait-on, jusqu’à épouser, étrange entêtement de l’exil, la fille d’un régicide, Ann Bradshaw, — on précisait le nom, — laquelle était morte aussi, mais, disait-on, en mettant au monde un enfant, un garçon, qui, si tous ces détails étaient exacts, se trouverait être le fils légitime et l’héritier légal de lord Clancharlie. Ces dires, fort vagues, ressemblaient plutôt à des bruits qu’à des faits. Ce qui se passait en Suisse était pour l’Angleterre d’alors aussi lointain que ce qui se passe en Chine pour l’Angleterre d’aujourd’hui. Lord Clancharlie aurait eu cinquante-neuf ans au moment de son mariage, et soixante à la naissance de son fils, et serait mort fort peu de temps après, laissant derrière lui cet enfant, orphelin de père et de mère. Possibilités, sans doute, mais invraisemblances. On ajoutait que cet enfant était « beau comme le jour », ce qui se lit dans tous les contes de fées. Le roi Jacques mit fin à ces rumeurs, évidemment sans fondement aucun, en déclarant un beau matin