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eux, mâles figures ayant dans le regard cette religion qui sort du gouffre. Ajoutons ceci : la navigation est le contraire de la guerre. La navigation civilise le sauvagisme, la guerre sauvagise la civilisation. Ce que font les marins est avouable. Chose bizarre, l’homme admire les tueries plus que les découvertes. Il tient à avoir les deux côtés de la brute, férocité, plus bêtise. De là tant d’égorgements. De là les armées pour la guerre et la guerre pour les armées. Le jour où Van Diémen sera plus populaire que César, le jour où la boussole sera préférée au glaive, le jour où l’amour des marins remplacera l’amour des soldats, ce jour-là, la paix sera faite.

L’humanité entrera en possession de ses deux biens, la totalité de la terre et la totalité de la vie.

En attendant, la civilisation, chose honteuse, brutalise le matelot. En 1863, pour ne citer que cette année, la marine anglaise a reçu vingt-cinq mille cinq cent treize coups de fouet.

Donnés par qui ? par l’officier au matelot. Lequel des deux est dégradé ?

C’est par la mer que la terre se conquiert. Vaste labeur, sans cesse remis en question. Toute la mer couvre un sous^entendu périlleux.

On en vient à bout pourtant. Peu à peu, pas à pas, lentement, scientifiquement. Depuis vingt ans seulement, par l’étude de la mer, grâce aux beaux travaux du puissant sondeur Maury, on a abrégé de dix jours la traversée de l’équateur, de quinze jours la traversée de la Chine, de cinquante jours la traversée de l’Australie.


XI

L’homme empiète ; les espaces ont l’air de consentir. L’océan semble entrer en capitulation. La tempête recule, non sans se cabrer. Le déchaînement des vents est un barrage. Le premier poste des Aquilons est aux colonnes d’Hercule ; on viole Calpé et Abyla ; alors sur le revers de l’Afrique, devant le navire humain en marche, se dresse, immobile en travers de l’océan, debout, ayant une sorte de regard sous son double sourcil de nuées, le menaçant Cap Non. Défense de passer. L’homme passe. Les vents font des concessions ; l’obstacle fluide se laisse refouler par Gilianez qui double la pointe Bojador, par Cadamosto qui découvre les Canaries, par Fernandez qui découvre le cap Vert, par Vêliez Cabrai qui découvre les Açores, par Jacques Lemaire qui double le cap Horn où les Andes s’achèvent par des volcans, par Sébastien del Cano qui continue Magellan, par Clarke qui continue Cook, par cent autres. Les vents résistent à Dumont d’Urville, essayant de trouer « les vieilles glaces bleues ». Ils exécutent Lapeyrouse et Franklin. Ils sont plus faciles pour Anson, ce héros compliqué d’un pirate ; ils lui ramènent Le Centurion aux îles Ladrones, et c’est par leur permission qu’il peut rentrer dans Londres au milieu des tambours et des trompettes avec trente-deux chariots chargés de piastres espagnoles.