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infinie dans le moindre fait nous déconcerte. Elle éclate surtout dans les phénomènes extrêmes, dans les merveilles hideuses ou splendides qu’on pourrait appeler les faits de frontière. Ce sont en effet des commencements de régions. Ceci atteint, ceci constaté, ceci enregistré et subi, nous ne comprenons plus rien. L’imagination renonce à plonger et à planer ; la science refuse de tâtonner. Au delà du monstre, il n’y a plus que le fantôme. Nous ne désirons pas en savoir davantage. C’est bon, assez, nous sommes saturés, nous avons notre chargement. Le cerveau, en fait de science, n’est qu’un contenant limité. Une connaissance trop profonde de la réalité dans un vivant paraîtrait aux autres vivants folie, la science complète aurait un air de démence, et l’infortuné qui parviendrait à se rencontrer face à face avec le Grand Inconnu sur le sommet des choses ne redescendrait du Sinaï que pour entrer à Bedlam.

Ne jetons pas la sonde trop avant.

Bornons-nous, au point de vue cosmique, à accepter ce qui est, compliqué de ce qui peut être. Le réel est l’asymptote du possible ; le point de rencontre est à l’extrémité de l’infini. Dans la création, qui est notre enveloppe et qui est notre pénétration, rien, excepté l’absurde, excepté ce qui se suicide, ne peut être nié a priori. L’incompréhensible prend trop de place pour qu’il en reste à l’improbable. Puisqu’il y a la comète, il peut bien y avoir le python. Le bout de l’ombre ne peut pas plus être trouvé que le bout de la lumière. L’Inconnu travaille dans les deux sens. Le miasme a sa logique comme le rayon, et logique c’est vie.

Le Pourquoi des désastres est au-dessus de notre entendement. À quoi bon cette catastrophe ? Quelle est l’utilité de cet incendie, de cette inondation, de ce tremblement de terre, de ce naufrage, de cette peste, de cette éruption ? Quelle est la fonction des fléaux ?

En dehors de l’homme, quelle raison a-t-On de faire ce qu’On fait ? Sous quel angle l’ordonnateur mystérieux voit-il les causes et les effets ? Les éléments, ces intermédiaires entre lui et nous, sont-ils lucides ? Ils nous paraissent souvent forcenés, parfois insensés. Lavoisier disait : l’extravagance de l’air. Il y a dans les ténèbres des forces dont la manière d’agir nous déconcerte. Il semble que nous ayons, nous vivants, à compter, sinon avec des méchancetés invisibles, du moins avec on ne sait quels aveuglements inconnus chargés d’une partie de la conduite des choses. Ces forces obscures manient à tâtons le genre humain.

Disons-le cependant, entre aveugle et obscur, il faut distinguer. L’impénétrabilité n’est point la cécité. Ces forces sont ténébreuses, cela ne prouve pas qu’elles soient inconscientes. Elles sont assez actives pour ne pas