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bscurité, sont toujours là. Rien, comme la vue de l’eau, ne donne la vision des nombres.

Sur cette rêverie plane l’ouragan.

On est réveillé de l’abstraction par la tempête.

Mare portentosum.

La grande eau solitaire, cette mobilité diffuse, cette nappe d’orages si calme en dessous, communique par des artères latentes avec ces volcans de fange qui jettent au-dehors l’humus interne, nous révélant que le globe a, comme l’homme, sa peau qui est la terre, et sa muqueuse qui est la boue. Le globe est évidemment un être animé. Est-il vivant ? Ceci est la question. Entre animé et vivant, il existe une nuance, la personnalité. Il y aurait là un moi énorme. Qui oserait l’affirmer ? Qui pourrait le nier ?


IV

Quoi qu’il en soit, les eaux sont aux vents. Le flot subit le souffle. Il en résulte une variété inépuisable de faits apparents, contradictoires extérieurement, d’accord au fond, qu’ont peine à suivre dans leurs transformations sans nombre Hippocrate, Aristote, Avicenne, Albert-leGrand, Galilée, Porta, Huyghens, Mariotte, Volta, Valisneri, Spallanzani, Beccaria, Wheatstone, Lyell, Coulvier-Gravier, Maury, Peltier, Maxadorf, Schœnbeïn, Humboldt, et même l’ingénieux Mathieu de la Drôme, et même ces sagaces et savants écrivains, Margollé et Zurcher, les deux historiens du vent.

Le souffle, ce caprice, cette volonté, fiat ubi vult, semble se rire aujourd’hui des fils métalliques de Snow-Harris, de même que jadis il se riait des deux épées du roi Artaxerce et de la reine Paryzatis.

Ces épées étaient l’embryon du paratonnerre.

L’atmosphère, épaisse de quinze lieues, dilatable jusqu’à trente, a été pesée par Galilée, équilibrée avec le mercure par Toricelli, l’inventeur du baromètre, mesurée du haut de la tour Saint-Jacques par Pascal, décomposée par Lavoisier. On en est là.

Qui sait où s’arrêtera la science ? Qui sait si l’homme ne parviendra pas à forger la clef du vent ?

La science fait, pour prendre l’ouragan, un filet dont les mailles se multiplient ; l’observatoire de Londres a les vingt-six cartes de l’amiral Fitz-Roy, l’observatoire de Paris dresse l’Atlas des Tempêtes. La science arrive à pressentir le temps, presque à le prédire, en prolongeant le plus loin possible sur l’océan, par la confrontation des faits et par le calcul, toutes les courbes d’égale pression barométrique. Les inflexions de ces courbes marquent les variations de l’atmosphère.