Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VI.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
297
NOTE DE L’EDITION HETZEL-QUANTIN.

doivent cesser d’être exclusivement français, italiens, allemands, espagnols, anglais, et devenir européens ; je dis plus, humains.

De là une nouvelle logique de l’art, et de certaines nécessités de composition qui modifient tout, même les conditions, jadis étroites, de goût et de langue, lesquelles doivent s’élargir comme le reste.

En France, certains critiques m’ont reproché, à ma grande joie, d’être en dehors de ce qu’ils appellent le goût français ; je voudrais que cet éloge fût mérité. En somme, je fais ce que je peux, je souffre de la souffrance universelle, et je tâche de la soulager, je n’ai que les chétives forces d’un homme, et je crie à tous : aidez-moi !

Voilà, monsieur, ce que votre lettre me provoque à vous dire ; je vous le dis pour vous, et pour votre pays. Si j’ai tant insisté, c’est à cause d’une phrase de votre lettre. Vous m’écrivez : — « Il y a des italiens, et beaucoup, qui disent : ce livre, les Misérables, est un livre français. Cela ne nous regarde pas. Que les français le lisent comme une histoire, nous le lisons comme un roman. » — Hélas ! je le répète, italiens ou français, la misère nous regarde tous. Depuis que l’histoire écrit et que la philosophie médite, la misère est le vêtement du genre humain ; le moment serait enfin venu d’arracher cette guenille, et de remplacer, sur les membres nus de l’Homme-Peuple, la loque sinistre du passé par la grande robe pourpre de l’aurore.

Si cette lettre vous paraît bonne à éclairer quelques esprits et à dissiper quelques préjugés, vous pouvez la publier, monsieur. Recevez, je vous prie, la nouvelle assurance de mes sentiments très distingués.

Victor Hugo.