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LE SEPTIÈME CERCLE…

Et avec un haussement d’épaules adorable et on ne sait quelle bouderie exquise, elle regarda Marius. Il y eut comme un éclair entre ces deux êtres. Que quelqu’un fût là, peu importait.

— Je t’aime ! dit Marius.

— Je t’adore ! dit Cosette.

Et ils tombèrent irrésistiblement dans les bras l’un de l’autre.

— À présent, reprit Cosette en rajustant un pli de son peignoir avec une petite moue triomphante, je reste.

— Cela, non, répondit Marius d’un ton suppliant. Nous avons quelque chose à terminer.

— Encore non ?

Marius prit une inflexion de voix grave :

— Je t’assure, Cosette, que c’est impossible.

— Ah ! vous faites votre voix d’homme, monsieur. C’est bon, on s’en va. Vous, père, vous ne m’avez pas soutenue. Monsieur mon mari, monsieur mon papa, vous êtes des tyrans. Je vais le dire à grand-père. Si vous croyez que je vais revenir et vous faire des platitudes, vous vous trompez. Je suis fière. Je vous attends à présent. Vous allez voir que c’est vous qui allez vous ennuyer sans moi. Je m’en vais, c’est bien fait.

Et elle sortit.

Deux secondes après, la porte se rouvrit, sa fraîche tête vermeille passa encore une fois entre les deux battants, et elle leur cria :

— Je suis très en colère.

La porte se referma et les ténèbres se refirent.

Ce fut comme un rayon de soleil fourvoyé qui, sans s’en douter, aurait traversé brusquement de la nuit.

Marius s’assura que la porte était bien refermée.

— Pauvre Cosette ! murmura-t-il, quand elle va savoir…

À ce mot, JeanValjean trembla de tous ses membres. Il fixa sur Marius un œil égaré.

— Cosette ! oh oui, c’est vrai, vous allez dire cela à Cosette. C’est juste. Tiens, je n’y avais pas pensé. On a de la force pour une chose, on n’en a pas pour une autre. Monsieur, je vous en conjure, je vous en supplie, monsieur, donnez-moi votre parole la plus sacrée, ne le lui dites pas. Est-ce qu’il ne suffit pas que vous le sachiez, vous ? J’ai pu le dire de moi-même sans y être forcé, je l’aurais dit à l’univers, à tout le monde, ça m’était égal. Mais elle, elle ne sait pas ce que c’est, cela l’épouvanterait. Un forçat, quoi ! on serait forcé de lui expliquer, de lui dire : C’est un homme qui a été aux galères. Elle a vu un jour passer la chaîne. Oh mon Dieu !

Il s’affaissa sur un fauteuil et cacha son visage dans ses deux mains. On