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LE SEPTIÈME CERCLE…

Cosette, radieuse, continuait de les regarder tour à tour tous les deux. Il y avait dans ses yeux comme des échappées de paradis.

— Je vous prends en flagrant délit, dit Cosette. Je viens d’entendre à travers la porte mon père Fauchelevent qui disait : — La conscience… — Faire son devoir… — C’est de la politique, ça. Je ne veux pas. On ne doit pas parler politique dès le lendemain. Ce n’est pas juste.

— Tu te trompes, Cosette, répondit Marius. Nous parlons affaires. Nous parlons du meilleur placement à trouver pour tes six cent mille francs…

— Ce n’est pas tout ça, interrompit Cosette. Je viens. Veut-on de moi ici ?

Et, passant résolument la porte, elle entra dans le salon. Elle était vêtue d’un large peignoir blanc à mille plis et à grandes manches qui, partant du cou, lui tombait jusqu’aux pieds. Il y a, dans les ciels d’or des vieux tableaux gothiques, de ces charmants sacs à mettre un ange.

Elle se contempla de la tête aux pieds dans une grande glace, puis s’écria avec une explosion d’extase ineffable :

— Il y avait une fois un roi et une reine. Oh ! comme je suis contente !

Cela dit, elle fit la révérence à Marius et à Jean Valjean.

— Voilà, dit-elle, je vais m’installer près de vous sur un fauteuil, on déjeune dans une demi-heure, vous direz tout ce que vous voudrez, je sais bien qu’il faut que les hommes parlent, je serai bien sage.

Marius lui prit le bras, et lui dit amoureusement :

— Nous parlons affaires.

— À propos, répondit Cosette, j’ai ouvert ma fenêtre, il vient d’arriver un tas de pierrots dans le jardin. Des oiseaux, pas des masques. C’est aujourd’hui mercredi des cendres ; mais pas pour les oiseaux.

— Je te dis que nous parlons affaires, va, ma petite Cosette, laisse-nous un moment. Nous parlons chiffres. Cela t’ennuierait.

— Tu as mis ce matin une charmante cravate, Marius. Vous êtes fort coquet, monseigneur. Non, cela ne m’ennuiera pas.

— Je t’assure que cela t’ennuiera.

— Non. Puisque c’est vous. Je ne vous comprendrai pas, mais je vous écouterai. Quand on entend les voix qu’on aime, on n’a pas besoin de comprendre les mots qu’elles disent. Être là ensemble, c’est tout ce que je veux. Je reste avec vous, bah !

— Tu es ma Cosette bien-aimée ! Impossible.

— Impossible !

— Oui.

— C’est bon, reprit Cosette. Je vous aurais dit des nouvelles. Je vous