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JEAN VALJEAN A TOUJOURS…

triple, l’être final, la trinité humaine en sort. Cette naissance de deux âmes en une doit être une émotion pour l’ombre. L’amant est prêtre ; la vierge ravie s’épouvante. Quelque chose de cette joie va à Dieu. Là où il y a vraiment mariage, c’est-à-dire où il y a amour, l’idéal s’en mêle. Un lit nuptial fait dans les ténèbres un coin d’aurore. S’il était donné à la prunelle de chair de percevoir les visions redoutables et charmantes de la vie supérieure, il est probable qu’on verrait les formes de la nuit, les inconnus ailés, les passants bleus de l’invisible, se pencher, foule de têtes sombres, autour de la maison lumineuse, satisfaits, bénissants, se montrant les uns aux autres la vierge épouse, doucement effarés, et ayant le reflet de la félicité humaine sur leurs visages divins. Si, à cette heure suprême, les époux éblouis de volupté, et qui se croient seuls, écoutaient, ils entendraient dans leur chambre un bruissement d’ailes confuses. Le bonheur parfait implique la solidarité des anges. Cette petite alcôve obscure a pour plafond tout le ciel. Quand deux bouches, devenues sacrées par l’amour, se rapprochent pour créer, il est impossible qu’au-dessus de ce baiser ineffable il n’y ait pas un tressaillement dans l’immense mystère des étoiles.

Ces félicités sont les vraies. Pas de joie hors de ces joies-là. L’amour, c’est là l’unique extase. Tout le reste pleure.

Aimer ou avoir aimé, cela suffit. Ne demandez rien ensuite. On n’a pas d’autre perle à trouver dans les plis ténébreux de la vie. Aimer est un accomplissement.