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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

On s’arrêtait rue Saint-Antoine devant Saint-Paul pour voir à travers la vitre de la voiture trembler les fleurs d’oranger sur la tête de Cosette.

Puis ils rentrèrent rue des Filles-du-Calvaire, chez eux. Marius, côte à côte avec Cosette, monta, triomphant et rayonnant, cet escalier où on l’avait traîné mourant. Les pauvres, attroupés devant la porte et se partageant leurs bourses, les bénissaient. Il y avait partout des fleurs. La maison n’était pas moins embaumée que l’église ; après l’encens, les roses. Ils croyaient entendre des voix chanter dans l’infini ; ils avaient Dieu dans le cœur ; la destinée leur apparaissait comme un plafond d’étoiles ; ils voyaient au-dessus de leurs têtes une lueur de soleil levant. Tout à coup l’horloge sonna. Marius regarda le charmant bras nu de Cosette et les choses roses qu’on apercevait vaguement à travers les dentelles de son corsage, et Cosette, voyant le regard de Marius, se mit à rougir jusqu’au blanc des yeux.

Bon nombre d’anciens amis de la famille Gillenormand avaient été invités ; on s’empressait autour de Cosette. C’était à qui l’appellerait madame la baronne.

L’officier Théodule Gillenormand, maintenant capitaine, était venu de Chartres où il tenait garnison, pour assister à la noce de son cousin Pontmercy. Cosette ne le reconnut pas.

Lui, de son côté, habitué à être trouvé joli par les femmes, ne se souvint pas plus de Cosette que d’une autre.

— Comme j’ai eu raison de ne pas croire à cette histoire du lancier ! disait à part soi le père Gillenormand.

Cosette n’avait jamais été plus tendre avec Jean Valjean. Elle était à l’unisson du père Gillenormand ; pendant qu’il érigeait la joie en aphorismes et en maximes, elle exhalait l’amour et la bonté comme un parfum. Le bonheur veut tout le monde heureux.

Elle retrouvait, pour parler à Jean Valjean, des inflexions de voix du temps qu’elle était petite fille. Elle le caressait du sourire.

Un banquet avait été dressé dans la salle à manger.

Un éclairage {Corr giorno}} est l’assaisonnement nécessaire d’une grande joie. La brume et l’obscurité ne sont point acceptées par les heureux. Ils ne consentent pas à être noirs. La nuit, oui ; les ténèbres, non. Si l’on n’a pas de soleil, il faut en faire un.

La salle à manger était une fournaise de choses gaies. Au centre, au-dessus de la table blanche et éclatante, un lustre de Venise à lames plates, avec toutes sortes d’oiseaux de couleur, bleus, violets, rouges, verts, perchés au milieu des bougies ; autour du lustre des girandoles, sur le mur des miroirs-appliques à triples et quintuples branches ; glaces, cristaux, verre-