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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

Ces tombereaux de fange enrubannée et fleurie sont insultés et amnistiés par le rire public. Le rire de tous est complice de la dégradation universelle. De certaines fêtes malsaines désagrègent le peuple et le font populace ; et aux populaces comme aux tyrans il faut des bouffons. Le roi a Roquelaure, le peuple a Paillasse. Paris est la grande ville folle, toutes les fois qu’il n’est pas la grande cité sublime. Le carnaval y fait partie de la politique. Paris, avouons-le, se laisse volontiers donner la comédie par l’infamie. Il ne demande à ses maîtres, — quand il a des maîtres, — qu’une chose : fardez-moi la boue. Rome était de la même humeur. Elle aimait Néron. Néron était un débardeur titan.

Le hasard fit, comme nous venons de le dire, qu’une de ces difformes grappes de femmes et d’hommes masqués, trimballée dans une vaste calèche, s’arrêta à gauche du boulevard pendant que le cortège de la noce s’arrêtait à droite. D’un bord du boulevard à l’autre, la voiture où étaient les masques aperçut vis-à-vis d’elle la voiture où était la mariée.

— Tiens ! dit un masque, une noce.

— Une fausse noce, reprit un autre. C’est nous qui sommes la vraie.

Et, trop loin pour pouvoir interpeller la noce, craignant d’ailleurs le holà des sergents de ville, les deux masques regardèrent ailleurs.

Toute la carrossée masquée eut fort à faire au bout d’un instant, la multitude se mit à la huer, ce qui est la caresse de la foule aux mascarades ; et les deux masques qui venaient de parler durent faire front à tout le monde avec leurs camarades, et n’eurent pas trop de tous les projectiles du répertoire des halles pour répondre aux énormes coups de gueule du peuple. Il se fît entre les masques et la foule un effrayant échange de métaphores.

Cependant, deux autres masques de la même voiture, un espagnol au nez démesuré avec un air vieillot et d’énormes moustaches noires, et une poissarde maigre, et toute jeune fille, masquée d’un loup, avaient remarqué la noce, eux aussi, et, pendant que leurs compagnons et les passants s’insultaient, avaient un dialogue à voix basse.

Leur aparté était couvert par le tumulte et s’y perdait. Les bouffées de pluie avaient mouillé la voiture toute grande ouverte ; le vent de février n’est pas chaud ; tout en répondant à l’espagnol, la poissarde, décolletée, grelottait, riait, et toussait.

Voici le dialogue :

— Dis donc.

— Quoi, daron[1]

— Vois-tu ce vieux ?

  1. Daron, père.