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LES DEUX VIEILLARDS…

coups de pique ? Parce que Hélène a laissé prendre à Pâris sa jarretière. Avec la jarretière de Cosette, Homère ferait l’Iliade. Il mettrait dans son poëme un vieux bavard comme moi, et il le nommerait Nestor. Mes amis, autrefois, dans cet aimable autrefois, on se mariait savamment ; on faisait un bon contrat, et ensuite une bonne boustifaille. Sitôt Cujas sorti, Gamache entrait. Mais, dame ! c’est que l’estomac est une bête agréable qui demande son dû, et qui veut avoir sa noce aussi. On soupait bien, et l’on avait à table une belle voisine sans guimpe qui ne cachait sa gorge que modérément ! Oh ! les larges bouches riantes, et comme on était gai dans ce temps-là ! la jeunesse était un bouquet ; tout jeune homme se terminait par une branche de lilas ou par une touffe de roses ; fût-on guerrier, on était berger ; et si, par hasard, on était capitaine de dragons, on trouvait moyen de s’appeler Florian. On tenait à être joli. On se brodait, on s’empourprait. Un bourgeois avait l’air d’une fleur, un marquis avait l’air d’une pierrerie. On n’avait pas de sous-pieds, on n’avait pas de bottes. On était pimpant, lustré, moiré, mordoré, voltigeant, mignon, coquet, ce qui n’empêchait pas d’avoir l’épée au côté. Le colibri a bec et ongles. C’était le temps des Indes calantes. Un des côtés du siècle était le délicat, l’autre était le magnifique ; et, par la vertuchoux ! on s’amusait. Aujourd’hui on est sérieux. Le bourgeois est avare, la bourgeoise est prude ; votre siècle est infortuné. On chasserait les Grâces comme trop décolletées. Hélas ! on cache la beauté comme une laideur. Depuis la révolution, tout a des pantalons, même les danseuses ; une baladine doit être grave ; vos rigodons sont doctrinaires. Il faut être majestueux. On serait bien fâché de ne pas avoir le menton dans sa cravate. L’idéal d’un galopin de vingt ans qui se marie, c’est de ressembler à monsieur Royer-Collard. Et savez-vous à quoi l’on arrive avec cette majesté-là ? à être petit. Apprenez ceci : la joie n’est pas seulement joyeuse ; elle est grande. Mais soyez donc amoureux gaîment, que diable ! mariez-vous donc, quand vous vous mariez, avec la fièvre et l’étourdissement et le vacarme et le tohu-bohu du bonheur ! De la gravité à l’église, soit. Mais, sitôt la messe finie, sarpejeu ! il faudrait faire tourbillonner un songe autour de l’épousée. Un mariage doit être royal et chimérique ; il doit promener sa cérémonie delà cathédrale de Reims à la pagode de Chanteloup. J’ai horreur d’une noce pleutre. Ventregoulette ! soyez dans l’olympe, au moins ce jour-là. Soyez des dieux. Ah ! l’on pourrait être des sylphes, des Jeux et des Ris, des argyraspides ; on est des galoupiats ! Mes amis, tout nouveau marié doit être le prince Aldobrandini. Profitez de cette minute unique de la vie pour vous envoler dans l’empyrée avec les cygnes et les aigles, quitte à retomber le lendemain dans la bourgeoisie des grenouilles. N’économisez point sur l’hyménée, ne lui rognez pas ses splendeurs ; ne liardez pas le jour où vous rayonnez. La noce n’est pas le ménage.