Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VI.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LIVRE CINQUIÈME.

LE PETIT-FILS ET LE GRAND-PÈRE.





I

où l’on revoit l’arbre à l’emplâtre de zinc.


Quelque temps après les événements que nous venons de raconter, le sieur Boulatruelle eut une émotion vive.

Le sieur Boulatruelle est ce cantonnier de Montfermeil qu’on a déjà entrevu dans les parties ténébreuses de ce livre.

Boulatruelle, on s’en souvient peut-être, était un homme occupé de choses troubles et diverses. Il cassait des pierres et endommageait des voyageurs sur la grande route. Terrassier et voleur, il avait un rêve ; il croyait aux trésors enfouis dans la forêt de Montfermeil. Il espérait quelque jour trouver de l’argent dans la terre au pied d’un arbre ; en attendant, il en cherchait volontiers dans les poches des passants.

Néanmoins, pour l’instant, il était prudent. Il venait de l’échapper belle.

Il avait été, on le sait, ramassé dans le galetas Jondrette avec les autres bandits. Utilité d’un vice : son ivrognerie l’avait sauvé. On n’avait jamais pu éclaircir s’il était là comme voleur ou comme volé. Une ordonnance de non-lieu, fondée sur son état d’ivresse bien constaté dans la soirée du guet-apens, l’avait mis en liberté. Il avait repris la clef des bois. Il était revenu à son chemin de Gagny à Lagny faire, sous la surveillance administrative, de l’empierrement pour le compte de l’état, la mine basse, fort pensif, un peu refroidi pour le vol, qui avait failli le perdre, mais ne se tournant qu’avec plus d’attendrissement vers le vin, qui venait de le sauver.

Quant à l’émotion vive qu’il eut peu de temps après sa rentrée sous le toit de gazon de sa hutte de cantonnier, la voici :

Un matin, Boulatruelle, en se rendant comme d’habitude à son travail, et à son affût peut-être, un peu avant le point du jour, aperçut parmi les branches un homme dont il ne vit que le dos, mais dont l’encolure, à ce qui lui sembla, à travers la distance et le crépuscule, ne lui était pas tout à fait inconnue. Boulatruelle, quoique ivrogne, avait une mémoire correcte et lucide, arme défensive indispensable à quiconque est un peu en lutte avec l’ordre légal.