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MARIUS FAIT L’EFFET D’ÊTRE MORT…

boîtèrent comme dans deux étaux, l’examina, et le reconnut. Leurs visages se touchaient presque. Le regard de Javert était terrible.

Jean Valjean demeura inerte sous l’étreinte de Javert comme un lion qui consentirait à la griffe d’un lynx.

— Inspecteur Javert, dit-il, vous me tenez. D’ailleurs, depuis ce matin je me considère comme votre prisonnier. Je ne vous ai point donné mon adresse pour chercher à vous échapper. Prenez-moi. Seulement, accordez-moi une chose.

Javert semblait ne pas entendre. Il appuyait sur Jean Valjean sa prunelle fixe. Son menton froncé poussait ses lèvres vers son nez, signe de rêverie farouche. Enfin, il lâcha Jean Valjean, se dressa tout d’une pièce, reprit à plein poignet le casse-tête, et, comme dans un songe, murmura plutôt qu’il ne prononça cette question :

— Que faites-vous là ? et qu’est-ce que c’est que cet homme ?

Il continuait de ne plus tutoyer Jean Valjean.

Jean Valjean répondit, et le son de sa voix parut réveiller Javert :

— C’est de lui précisément que je voulais vous parler. Disposez de moi comme il vous plaira ; mais aidez-moi d’abord à le rapporter chez lui. Je ne vous demande que cela.

La face de Javert se contracta comme cela lui arrivait toutes les fois qu’on semblait le croire capable d’une concession. Cependant il ne dit pas non. Il se courba de nouveau, tira de sa poche un mouchoir qu’il trempa dans l’eau, et essuya le front ensanglanté de Marius.

— Cet homme était à la barricade, dit-il à demi-voix et comme se parlant à lui-même. C’est celui qu’on appelait Marius.

Espion de première qualité, qui avait tout observé, tout écouté, tout entendu et tout recueilli, croyant mourir ; qui épiait même dans l’agonie, et qui, accoudé sur la première marche du sépulcre, avait pris des notes.

Il saisit la main de Marius, cherchant le pouls.

— C’est un blessé, dit Jean Valjean.

— C’est un mort, dit Javert.

Jean Valjean répondit :

— Non. Pas encore.

— Vous l’avez donc apporté de la barricade ici ? observa Javert.

Il fallait que sa préoccupation fût profonde pour qu’il n’insistât point sur cet inquiétant sauvetage par l’égout, et pour qu’il ne remarquât même pas le silence de Jean Valjean après sa question.

Jean Valjean, de son côté, semblait avoir une pensée unique. Il reprit :

— Il demeure au Marais, rue des Filles-du-Calvaire, chez son aïeul… — Je ne sais plus le nom.