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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

Ce regard ne suffisant pas, il essaya de la pousser ; il la secoua, elle résista solidement. Il était probable qu’elle venait d’être ouverte, quoiqu’on n’eût entendu aucun bruit, chose singulière d’une grille si rouillée ; mais il était certain qu’elle avait été refermée. Cela indiquait que celui devant qui cette porte venait de tourner avait non un crochet, mais une clef.

Cette évidence éclata tout de suite à l’esprit de l’homme qui s’efforçait d’ébranler la grille et lui arracha cet épiphonème indigné :

— Voilà qui est fort ! une clef du gouvernement !

Puis, se calmant immédiatement, il exprima tout un monde d’idées intérieures par cette bouffée de monosyllabes accentués presque ironiquement :

— Tiens ! tiens ! tiens ! tiens !

Cela dit, espérant on ne sait quoi, ou voir ressortir l’homme, ou en voir entrer d’autres, il se posta aux aguets derrière le tas de déblais, avec la rage patiente du chien d’arrêt.

De son côté, le fiacre, qui se réglait sur toutes ses allures, avait fait halte au-dessus de lui près du parapet. Le cocher, prévoyant une longue station, emboîta le museau de ses chevaux dans le sac d’avoine humide en bas, si connu des parisiens, auxquels les gouvernements, soit dit par parenthèse, le mettent quelquefois. Les rares passants du pont d’Iéna, avant de s’éloigner, tournaient la tête pour regarder un moment ces deux détails du paysage immobiles, l’homme sur la berge, le fiacre sur le quai.