Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome V.djvu/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LIVRE ONZIÈME.

L’ATOME FRATERNISE AVEC L’OURAGAN.





I

quelques éclaircissements sur les origines de la poésie de gavroche. influence d’un académicien sur cette poésie.


À l’instant où l’insurrection, surgissant du choc du peuple et de la troupe devant l’Arsenal, détermina un mouvement d’avant en arrière dans la multitude qui suivait le corbillard et qui, de toute la longueur des boulevards, pesait, pour ainsi dire, sur la tête du convoi, ce fut un effrayant reflux. La cohue s’ébranla, les rangs se rompirent, tous coururent, partirent, s’échappèrent, les uns avec les cris de l’attaque, les autres avec la pâleur de la fuite. Le grand fleuve qui couvrait les boulevards se divisa en un clin d’œil, déborda à droite et à gauche et se répandit en torrents dans deux cents rues à la fois avec le ruissellement d’une écluse lâchée. En ce moment un enfant déguenillé qui descendait par la rue Ménilmontant, tenant à la main une branche de faux-ébénier en fleurs qu’il venait de cueillir sur les hauteurs de Belleville, avisa dans la devanture de boutique d’une marchande de bric-à-brac un vieux pistolet d’arçon. Il jeta sa branche fleurie sur le pavé, et cria :

— Mère chose, je vous emprunte votre machin.

Et il se sauva avec le pistolet.

Deux minutes après, un flot de bourgeois épouvantés qui s’enfuyait par la rue Amelot et la rue Basse, rencontra l’enfant qui brandissait son pistolet et qui chantait :

La nuit on ne voit rien,
Le jour on voit très bien,
D’un écrit apocryphe
Le bourgeois s’ébouriffe,
Pratiquez la vertu,
Tutu chapeau pointu !

C’était le petit Gavroche qui s’en allait en guerre.