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— Qui donc l’a tué ?

— Sa faute.

Le matelot, béant, regarda le vieillard ; puis ses sourcils reprirent leur froncement farouche.

— Comment vous appelez-vous ? dit le vieillard.

— Je m’appelle Halmalo, mais vous n’avez pas besoin de savoir mon nom pour être tué par moi.

En ce moment le soleil se leva. Un rayon frappa le matelot en plein visage et éclaira vivement cette figure sauvage. Le vieillard le considérait attentivement.

La canonnade, qui se prolongeait toujours, avait maintenant des interruptions et des saccades d’agonie. Une vaste fumée s’affaissait sur l’horizon. Le canot, que ne maniait plus le rameur, allait à la dérive.

Le matelot saisit de sa main droite un des pistolets de sa ceinture et de sa main gauche son chapelet.

Le vieillard se dressa debout.

— Tu crois en Dieu ? dit-il.

— Notre Père qui est au ciel, répondit le matelot.

Et il fit le signe de la croix.

— As-tu ta mère ?

— Oui.

Il fit un deuxième signe de croix. Puis il reprit :

— C’est dit. Je vous donne une minute, monseigneur.

Et il arma le pistolet.

— Pourquoi m’appelles-tu monseigneur ?

— Parce que vous êtes un seigneur. Cela se voit.

— As-tu un seigneur, toi ?

— Oui. Et un grand. Est-ce qu’on vit sans seigneur ?

— Où est-il ?

— Je ne sais pas. Il a quitté le pays. Il s’appelle monsieur le marquis de Lantenac, vicomte de Fontenay, prince en Bretagne ; il est le seigneur des Sept-Forêts. Je ne l’ai jamais vu, ce qui ne l’empêche pas d’être mon maître.

— Et si tu le voyais, lui obéirais-tu ?

— Certes. Je serais donc un païen, si je ne lui obéissais pas ! on doit obéissance à Dieu, et puis au roi qui est comme Dieu, et puis au seigneur qui est comme le roi. Mais ce n’est pas tout ça, vous avez tué mon frère, il faut que je vous tue.

Le vieillard répondit :

— D’abord, j’ai tué ton frère, j’ai bien fait.

Le matelot crispa son poing sur son pistolet.