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du coloris se déploient comme dans toutes les descriptions.

Quant au style, si j’avais à constater une modification, je dirais qu’en avançant sous la neige de la vie l’écrivain se recueille, se resserre, se concentre, et que les mots prennent de plus en plus cette empreinte ineffaçable qui en fait des médailles. Je n’exagère pas. Je ne peux citer tout ce que j’ai noté dans ces trois volumes. Je suis restreint par l’espace et j’ai mon avarice de collectionneur. Mais, je le demande, n’est-ce pas un trait superbe que celui-ci ?

Victor Hugo, après avoir raconté l’effort des combattants de la Claymore contre l’escadre française et constaté le courage de ces insurgés, dit : « La corvette la Claymore mourut de la même façon que le Vengeur, mais la gloire l’a ignoré. On n’est pas héros contre son pays. »

Je connais peu de sentences aussi belles ; je n’en connais pas une qui dépasse celle-là, qui ait plus de patriotisme et de grandeur. Ailleurs, parlant des enfants et des tendresses dont ils sont la cause : « Ceux qui nous doivent tout ; dit-il, on les adore. » N’est-ce pas à la fois délicat et simple ? humain et paternel ?

(Allusion aux deux articles :) C’est beaucoup de distraire deux fois l’attention du public pour un roman qui résume les passions, les fureurs, les grandeurs, les héroïsmes d’une époque. Ceux qui savent encore lire ouvriront le livre et n’ont pas besoin que je le leur épelle. Les autres se moqueront de la vivacité avec laquelle je prends parti pour une œuvre de grand style et de grand art.

… Toutes les fois qu’un livre, vers ou prose, me donne l’occasion d’admirer, j’en use jusqu’à l’abus, espérant ainsi, en tenant haut mon cœur dans les régions de l’enthousiasme, relever, soutenir et entraîner avec moi ceux qui se découragent et qui s’enfoncent dans l’ennui du temps présent.

L’Opinion nationale.
Armand Silvestre.

… Notre patrie humaine est bien celle de ce travailleur puissant et infatigable ; c’est le champ de nos affections, de nos espérances et de nos joies qu’il a sans cesse remué, jetant souvent par delà les semences à mains pleines. Mais il n’en a cultivé que les sommets, aimant par instant les hauteurs d’où le ciel se voit de plus loin. Si jamais œuvre a mérité ce glorieux épigraphe : Sursum corda, c’est assurément le sien.

Quatrevingt-treize est dans les traditions de tout ce que nous connaissons du grand poète. Les passionnés de politique qui attendaient une œuvre de parti en sont pour leurs prévisions. Ce beau livre est au-dessus de tous les partis, car il nous montre, dans tous, des âmes élevées très haut par la folie héroïque d’une époque inouïe dans les fastes du monde. Dans le tourbillon sanglant où sont entraînés tous les exaltés, qui songerait à reconnaître la cocarde qui les décore ? À les voir mourir, qui se demanderait si c’est à la République ou au Roy qu’ils font litière de leur vie ? Misère que tout cela.

Il s’agit bien de savoir pour qui ils versent leur sang, mais avec quelle indifférence sublime ils affrontent les balles et les échafauds. Quel souffle effroyable peut ainsi détacher toute une génération des plus incurables soucis, la déraciner des instincts les plus tenaces, la jeter pantelante, ivre de sacrifice, altérée de dévouement, à travers toutes les audaces, tous les périls, toutes les morts — voilà ce qu’il importe de montrer et aussi de quel effort peut soudain s’enfler et se grandir le peu que nous sommes.

Admirable effet ! plein de scènes étrangement inhumaines, ce livre permet d’aimer l’humanité.

(2e article. 27 février.)

… J’ai dit que tout était haut dans ce drame, que les sentiments s’y mesuraient à l’idéal même, que la générosité en était le fond et le sacrifice la loi.

Voyez plutôt : Lantenac captif est destiné à la guillotine : Gauvain, son ennemi, se dévoue et l’y arrache en lui prêtant son manteau. Mais Gauvain va payer pour tous, pour le marquis échappé et pour les enfants sauvés. L’échafaud attend sa proie. Ce n’est pas Lantenac qui va y monter, mais Gauvain, que son ami, que son maître, que son père a condamné sans hésiter.

Ici se place la scène capitale de l’œuvre. En condamnant son ami, son enfant, Cimour-